Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/483

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. Ravaisson consacre quelques pages à l’influence réciproque de la pensée juive et de la pensée grecque l’une sur l’autre, ainsi qu’à un intéressant aperçu des doctrines de Philon : il a bien compris la nécessité d’un semblable parallèle, dût le parallèle être un peu écourté. L’auteur de l’Essai a écrit l’histoire du néo-platonisme sous l’inspiration dirigeante d’une pensée qui lui a permis de resserrer son exposition sans toutefois omettre de points essentiels. Il a un dessein principal de retrouver Aristote dans Plotin, dans Proclus ; il s’attache à prouver que la doctrine fondamentale des Ennéades n’est autre que celle de la Métaphysique, et, quant à Proclus, il se complaît à le montrer flottant entre Platon et Aristote, entre deux sortes d’unité et de causalité entièrement opposées. La conciliation conçue par le néo-platonisme se trouve finalement condamnée, elle n’a eu d’autre résultat que de faire descendre la philosophie dans les plus ténébreuses régions du naturalisme païen. Aussi, quand le néo-platonisme se dissout et s’écroule, l’aristotélisme reparaît, affermi, épuré, réservé à des destinées nouvelles au milieu des doctrines, des idées et de la civilisation du christianisme. Telle est la conclusion dernière à laquelle M. Ravaisson arrive aujourd’hui.

Pour mieux apprécier ce jugement final, il faut remonter aux raisons premières par lesquelles l’auteur de l’Essai l’a préparé et motivé dès le début. Voici, en substance, la pensée fondamentale de l’écrivain philosophe. Entre la pluralité des choses sensibles et l’unité absolue Pythagore avait interposé le nombre, Platon interposa l’idée. Aristote, au contraire, reconnut, pour le véritable être, la réalité, c’est-à-dire l’acte, c’est-à-dire la pensée ; il expliqua tout par l’acte et la puissance dans leur opposition et leur rapport, l’acte qui est la forme des choses, leur cause motrice et leur fin, la puissance qui en est la matière. Or, quand le néo-platonisme voulut concilier Aristote et Platon, il arriva qu’après s’être élevé avec Aristote de la simple existence à la vie, de la vie à la pensée, c’est-à-dire du plus imparfait au plus parfait, il voulut poursuivre au-delà de l’intelligence même l’un absolu comme plus simple encore, et qu’après avoir traversé pour ainsi dire la région de l’amour, il se perdit dans l’absolu néant. Le néo-platonisme crut dépasser la métaphysique, et il retomba au-dessous même de la physique primitive. Il rentra dans le cercle borné de la nature que la métaphysique seule d’Aristote avait franchi. Voilà où il a été conduit par les illusions de la dialectique platonicienne. Ainsi, avec Platon l’erreur, et du côté d’Aristote la vérité.

C’est peut-être la première fois qu’au nom du spiritualisme on a si vivement instruit le procès de l’auteur du Phédon ; mais dans Platon n’y a-t-il donc que des formules logiques ? n’y trouvons-nous pas l’expression la plus haute de la vie morale ? Au surplus, pour répondre à des accusations plus ingénieuses que fondées, nous n’avons pas besoin de