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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/502

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trouver lord Malmesbury dans sa loge ; il traitait fort légèrement la révolution, affectant de dire : Du temps de la révolution, ou bien Maintenant que la révolution est finie. Un autre jour, il disait de Delacroix que c’était un jacobin effréné, que le principe de ces gens-là était de tout révolutionner à coups de canon, sans savoir le pourquoi. Il disait aussi que, jusqu’à ce qu’il fût arrivé (Delacroix) au ministère, tous les anciens chefs de bureau du département des affaires étrangères étaient restés en place pendant tout le règne de la terreur, mais qu’il les avait destitués ; que Talleyrand voulait replacer quelques-uns des anciens commis, Rayneval et d’autres.

En attendant, le directoire faisait ses affaires. Il venait de porter un coup fatal à l’Angleterre en amenant le ministre de Portugal à conclure un traité séparé avec la France. Le traité stipulait, de la part de la cour de Lisbonne, le refus d’approvisionnemens à la flotte anglaise, et l’exclusion des vaisseaux anglais, au-delà d’un certain nombre, des ports portugais. L’Angleterre considérait ce traité comme contraire aux engagemens du Portugal envers elle, et se déclarait prête à s’y opposer. Lord Grenville y vit une preuve manifeste de la fausseté des assurances du gouvernement français. M. Pitt ne pouvait guère considérer la chose sous un meilleur aspect ; toutefois il ne désespérait pas encore entièrement, et il écrivait à lord Malmesbury : « Je sens la nécessité de faire une halte ; cependant j’avoue que je ne suis pas aussi découragé que certains autres. Je crois que c’est un jeu naturel, quoique peu digne, de la part de ceux avec qui nous négocions ; mais je ne crois pas que, si d’autres points pouvaient être réglés, cela dût empêcher la paix. »

Mais lord Malmesbury lui-même avait perdu, cette fois, tout courage. L’affaire du Portugal l’avait tout-à-fait déconcerté, ainsi qu’on peut le voir dans cette lettre qu’il écrivait à M. Canning : « Vous verrez mes lettres particulières à lord Grenville ; elles parleront pour elles-mêmes. J’ai senti toutes les horreurs de la vilenie d’Aranjo (le ministre de Portugal) dès que j’en ai eu connaissance ; mais je désire je ne sais comment que vous ne les sentiez pas là-bas, et que vous laissiez à la Providence le soin de réparer cette œuvre du diable ; car je ne sais qui le pourra, si ce n’est pas la Providence… Que faire si sa majesté très fidèle a déjà ratifié ? Devenir fou comme elle ! »

Lord Malmesbury voyait juste à la fin. Les affaires se gâtaient de plus en plus ; tout dépendait de Paris, et Paris était dans le trouble et à la veille d’un changement que chacun pressentait. L’argent tenait une certaine place dans cette anarchie. Lord Malmesbury eut à ce sujet avec Maret une curieuse conversation que nous le laisserons raconter. « Comme il (Maret) me lisait une lettre assez courte de Guiraudet, je le vis en mettre une beaucoup plus grande dans sa poche, qu’il en avait tirée en même temps. Il me dit d’un air triste : « Ceci regarde mes