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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/503

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affaires particulières, qui sont très dérangées par des vols qu’on m’a faits, tant chez l’étranger qu’en France. » Je dis que « je comptais bien que l’ambassade d’Angleterre réparerait tout cela, » et, sans attendre sa réponse, je m’étendis sur l’extrême importance d’avoir pour cette ambassade une personne bien disposée et à tête calme, une personne qui, comme lui, eût les usages du grand monde, l’habitude des affaires, et aussi fût sans préjugés. Je vis que cela lui faisait plaisir. Il affecta de la modestie et de la défiance de lui-même, mentionnant Talleyrand et Chauvelin comme les hommes qu’il fallait. Je dis que Talleyrand ne quitterait sûrement pas les fonctions qu’il occupait, et que Chauvelin n’était pas en mesure. Maret fut de cet avis, et il insinua que, s’il était demandé, cela servirait sa nomination. Il me conta alors toute l’histoire de ses deux voyages en Angleterre en 1792 et 1793, et ses rapports avec Lebrun[1]. Il me dit que M. Pitt l’avait bien reçu, et que l’insuccès de sa négociation pouvait être attribué au gouvernement français, qui était décidé à la guerre ; que la grande et décisive cause de la guerre était « quelques vingtaines d’individus marquans et en place qui avaient joué à la baisse dans les fonds, et avaient porté la nation à nous déclarer la guerre. » Ainsi, dit-il, nous devons tous nos malheurs à un principe d’agiotage. »

Il paraît que, dès le commencement de la négociation, un individu était venu trouver lord Malmesbury, se disant envoyé par Barras, pour dire que, si le gouvernement anglais voulait lui donner (à Barras) 500,000 livres sterling (12,500,000 francs), il assurerait la conclusion de la paix. Lord Malmesbury, croyant que la proposition n’était pas autorisée par Barras, et craignant que ce ne fût un piège, n’y fit pas attention. Une autre proposition fut faite plus tard ; lord Malmesbury la mentionne ainsi dans son journal : « Un M. Melville, de Boston en Amérique, refait cette offre pour Barras. Il dit qu’il a fait la paix avec le Portugal avec de l’argent (10 ou 12 millions) donné au directoire. Il nous propose 15 millions. Naturellement son offre a été rejetée… Ellis l’a vu deux fois. Il dit que Laréveillère-Lépaux ne prendrait pas d’argent, mais que Barras et Rewbell en prendraient. »

Pendant que tout se préparait à Paris pour renverser les projets du parti de la paix, lord Malmesbury, bien que découragé, luttait encore avec une sorte d’amour-propre d’auteur. Lord Grenville, qui avait toujours été contraire à la négociation, voyait triompher ses prédictions, et entraînait insensiblement M. Pitt. Lord Malmesbury écrivait confidentiellement à M. Canning que, si on le laissait à Lille avec l’intention secrète de ne rien conclure, il préférait donner sa démission. « Cependant, disait-il, j’espère que je me trompe, et que le parti de la guerre

  1. Ministre des affaires étrangères en 92 et 93.