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« Sachez alors que j’ai appris ce matin que lord Malmesbury et ses compagnons sont en route pour revenir. Cette révolution maudite a déjoué nos bonnes intentions pour cette fois. Elle ne les déjouera pas finalement. »

Une dernière lettre confidentielle de Canning donnera une dernière preuve de la sincérité des assurances pacifiques de M. Pitt et de ses amis :

« Je suis très occupé, écrivait Canning à son oncle, M. Legh ; il y a toute la correspondance de lord Malmesbury à préparer pour la publication, afin de prouver à tout le genre humain combien peu c’est notre faute si nous n’avons pas la paix en ce moment. Nous en avons été à deux doigts (en anglais à un cheveu). Rien que cette révolution maudite de Paris, et l’arrogance sanguinaire, insolente, implacable et ignorante du triumvirat, ont pu nous en empêcher. Si le parti modéré avait triomphé, tout aurait bien été, non-seulement pour nous, mais pour la France, pour l’Europe, pour le monde. Tel que cela est, si c’est une consolation, c’est pire pour le monde en général, pour toute l’Europe, et surtout pour la France, que pour nous… Ce n’est pas un différend sur telles ou telles conditions, c’est une détermination bien arrêtée de ces trois drôles de directeurs (scoundrelly directors) de rejeter toute chance de paix, qui a mis fin à la négociation. Rien autre n’aurait pu le faire. »

Ce fut ainsi que les négociations pour la paix furent définitivement rompues. Il est inutile, il serait puéril de rechercher quel aurait pu être le cours des événemens, si la France avait, à cette époque, fait la paix avec l’Angleterre. Ce genre d’hypothèses ne mène à rien ; mais ce qui paraît clair et incontestablement acquis à l’histoire, c’est que ce fut le directoire, ou du moins la portion révolutionnaire du directoire, qui ne voulut pas faire la paix, et la paix la plus avantageuse que la France ait jamais eue à sa discrétion.

La vie publique et officielle de lord Malmesbury se termina avec cette mission. Il était dans la carrière depuis l’âge de vingt-quatre ans ; mais vers sa cinquantième année sa surdité augmenta tellement, qu’il fut obligé de refuser toute fonction. Néanmoins il continua à vivre dans l’intimité de Pitt, de Canning, du duc de Portland et autres hommes éminens de ce parti ; il était toujours consulté par eux quand il s’agissait de politique extérieure.

Il ne resta cependant pas étranger aux affaires intérieures de son pays. Son hôtel, situé dans Richmond-Gardens, était sur le chemin du parlement, et les hommes politiques de son parti, les jeunes gens surtout, venaient en passant faire une visite au vieux lion (old lion), comme on l’appelait à cause de la profusion de ses cheveux blancs et de ses grands yeux brillans. La dernière partie de ses mémoires a un très grand intérêt pour ceux qui connaissent et aiment l’histoire intime de la politique de l’Angleterre à cette époque ; les détails de la grande et