Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/528

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pour montrer enfin à leur place un même peuple, une loi égale pour tous, une nation libre et souveraine.

Tel est le grand spectacle que présente notre histoire au point où la Providence l’a conduite, et là se trouvent pour nous, hommes du XIXe siècle, de nobles sujets de réflexion et d’étude. Les causes et les phases diverses de ce merveilleux changement sont de tous les problèmes historiques celui qui nous touche le plus ; il a été depuis vingt ans l’objet de recherches considérables, et c’est à préparer sa solution qu’est destiné le présent recueil, dont l’étendue exige une suite d’efforts à laquelle ne pourra suffire la vie d’un seul homme[1]. Venu le premier de ceux qui mettront la main à cette œuvre, je n’ai vu qu’une portion très petite des innombrables documens que je commence à rassembler ; il serait téméraire à moi de vouloir deviner quelle signification doit avoir leur ensemble aux yeux de la science à venir, et je ne l’essaierai pas. Je me bornerai à présenter quelques aperçus provisoires, à marquer, selon mes propres études et l’état de la science contemporaine, les époques les plus distinctes et les points de vue les plus saillans de ce qui sera un jour l’histoire complète de la formation, des progrès et du rôle social du tiers-état.

C’est de la dernière forme donnée aux institutions civiles et politiques de l’empire, de celle qui eut Constantin pour auteur, que procède ce qu’il y a de romain dans nos idées, nos mœurs et nos pratiques légales ; là sont les origines premières de notre civilisation moderne. Cette ère de décadence et de ruine pour la société antique fut le berceau de la plupart des principes ou des élémens sociaux, qui, subsistant sous la domination des conquérans germains, et se combinant avec leurs traditions et leurs coutumes nationales, créèrent la société du moyen-âge, et, de là, se transmirent jusqu’à nous. On y voit la sanction chrétienne s’ajoutant à la sanction légale pour donner une nouvelle force à l’idée du pouvoir impérial, type de la royauté des temps postérieurs[2] ; l’esclavage attaqué dans son principe, : et miné sourdement ou transformé par le christianisme ; enfin le régime municipal, tout oppressif qu’il était devenu, s’imprégnant d’une sorte de démocratie par l’élection populaire du défenseur et de l’évêque. Quand vint sur la Gaule le règne des Barbares, quand l’ordre politique de l’empire d’Occident s’écroula, trois choses restèrent debout, les institutions chrétiennes, le droit romain

  1. Il s’agit du Recueil des monumens inédits de l’histoire du tiers-état, dont ce morceau doit former l’introduction.
  2. Selon le droit romain, la souveraineté des empereurs dérivait du peuple par délégation perpétuelle ; selon le christianisme, elle venait de Dieu. C’est ce dernier principe qui, depuis le règne de Constantin, fit prévaloir l’hérédité dans les successions impériales. Voyez le Mémoire de mon frère Amédée Thierry sur l’Administration centrale dans l’empire romain.