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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/532

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où s’instruisirent ceux des conquérans à qui l’intérêt bien entendu fit faire sur leurs domaines de grandes entreprises de culture ou de colonisation, deux choses dont la première impliquait alors la seconde. Sur chaque grande terre dont l’exploitation prospérait, les cabanes des hommes de travail, lites, colons ou esclaves, groupées selon le besoin ou la convenance, croissaient en nombre, se peuplaient davantage, arrivaient à former un hameau. Quand ces hameaux se trouvèrent situés dans une position favorable, près d’un cours d’eau, à quelque embranchement de routes, ils continuèrent de grandir, et devinrent des villages où tous les métiers nécessaires à la vie commune s’exerçaient sous la même dépendance. Bientôt la construction d’une église érigeait le village en paroisse, et, par suite, la nouvelle paroisse prenait rang parmi les circonscriptions rurales. Ceux qui l’habitaient, serfs ou demi-serfs attachés au même domaine, se voyaient liés l’un à l’autre par le voisinage et la communauté d’intérêts ; de là naquirent, sous l’autorité de l’intendant unie à celle du prêtre, des ébauches toutes spontanées d’organisation municipale, où l’église reçut le dépôt des actes qui, selon le droit romain, s’inscrivaient sur les registres de la cité. C’est ainsi qu’en dehors des municipes, des villes et des bourgs, où subsistaient, de plus en plus dégradés, les restes de l’ancien état social, des élémens de rénovation se formaient pour l’avenir, par la mise en valeur de grands espaces de terre inculte, par la multiplication des colonies de laboureurs et d’artisans, et par la réduction progressive de l’esclavage antique au servage de la glèbe.

Cette réduction, déjà très avancée au IXe siècle, s’acheva dans le cours du Xe. Alors disparut la dernière classe de la société gallo-franke, celle des hommes possédés à titre de meubles, vendus, échangés, transportés d’un lieu à l’autre comme toutes les choses mobilières. L’esclave appartint à la terre plutôt qu’à l’homme ; son service arbitraire se changea en redevances et en travaux réglés ; il eut une demeure fixe, et, par suite, un droit de jouissance sur le sol dont il dépendait. Ce fut le premier trait par où se marqua dans l’ordre civil l’empreinte originale du monde moderne ; le mot serf prit de là son acception définitive ; il devint le nom générique d’une condition mêlée de servitude et de liberté, dans laquelle se confondirent l’état de colon et l’état de lite, deux noms qui, au Xe siècle, se montrent de plus en plus rares et disparaissent paraissent totalement. Ce siècle où vint aboutir tout le travail social des quatre siècles écoulés depuis la conquête franke, vit se terminer par une grande révolution la lutte intestine des mœurs romaines et des mœurs germaniques. Celles-ci l’emportèrent définitivement, et, de leur victoire, sortit le régime féodal, c’est-à-dire une nouvelle forme de l’état, une nouvelle constitution de la propriété et de la famille, le morcellement de la souveraineté et de la juridiction, tous les pouvoirs publics