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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/543

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s’en distingua par son essence même ; il eut pour base l’équité naturelle, et régla, d’après ses principes, l’état des personnes, la constitution de la famille et la transmission des héritages. Il établit le partage des biens paternels ou maternels, meubles ou immeubles, entre tous les enfans, l’égalité des frères et des sœurs, et la communauté, entre époux, des choses acquises durant le mariage. C’était, sous une forme grossière, et d’un côté avec l’empreinte d’habitudes semi-barbares, de l’autre avec une teinte plus marquée d’inspirations chrétiennes, le même esprit de justice et de raison qui avait tracé jadis les grandes lignes du droit romain.

Aussi la révolution sociale fut-elle accompagnée et soutenue dans son développement par une révolution scientifique, par la renaissance de l’étude des lois romaines et des autres monumens de cette vieille et admirable jurisprudence. L’impulsion fut encore ici donnée par l’Italie, où l’enseignement public du droit ne cessa point durant tout le moyen-âge, et subsista obscurément à Ravenne avant de refleurir à Bologne. Dès le XIIe siècle, de nombreux étudians, qui, dans leurs migrations, passaient les Alpes, rapportèrent en France la nouvelle doctrine des glossateurs du droit civil ; et bientôt ce droit fut professé concurremment avec le droit canonique dans plusieurs villes du midi, et dans celles d’Angers et d’Orléans. Il devint raison écrite pour la portion du territoire dont les coutumes n’avaient conservé que peu de chose du droit romain ; il devint droit écrit pour celles où la loi romaine, mélangée et non déracinée par le contact des lois barbares, avait passé dans les mœurs et subsistait encore à l’état de droit coutumier. Les maximes et les règles puisées dans les codes impériaux par des esprits ardens et soucieux du vrai et du juste, descendirent des écoles dans la pratique, et, sous leur influence, toute une classe de jurisconsultes et d’hommes politiques, la tête et l’ame de la bourgeoisie, s’éleva, et commença dans les hautes juridictions la lutte du droit commun, de la raison de l’homme contre la coutume, l’exception, le fait inique ou irrationnel.

La cour du roi, tribunal suprême et conseil d’état, devint, par l’admission de ces hommes nouveaux, le foyer le plus actif de l’esprit de renouvellement. C’est là que reparut, proclamée et appliquée chaque jour, la théorie du pouvoir impérial, de l’autorité publique, une et absolue, égale envers tous, source unique de la justice et de la loi. Remontant, par les textes, sinon par la tradition, jusqu’aux temps romains, les légistes s’y établirent en idée, et, de cette hauteur, ils considérèrent dans le présent l’ordre politique et civil. A voir l’action qu’ils exercèrent au XIIIe siècle et au siècle suivant, on dirait qu’ils eussent rapporté de leurs études juridiques cette conviction, que, dans la société d’alors,