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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/549

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percevoir les taxes et le contrôle de l’administration financière donnés aux états agissant par leurs délégués à Paris et dans les provinces[1] ; l’établissement d’une milice nationale par l’injonction faite à chacun de s’équiper d’armes selon son état ; enfin la défense de traduire qui que ce soit devant une autre juridiction que la juridiction ordinaire ; l’abolition du droit de prise ou de réquisition forcée pour le service royal, et la suppression des monopoles exercés sous le nom de tierces personnes par les officiers royaux ou seigneuriaux[2]. Il y a là comme un souffle de démocratie municipale, quelque chose de plus méthodique et de plus large en fait de liberté que la résistance aristocratique de la noblesse et du clergé. L’initiative du tiers-état dominait, par l’empire du bon sens et de l’expérience administrative, dans ces délibérations qui, à ce qu’il paraît, furent communes entre les trois ordres[3]. La même chose eut lieu, avec des conséquences bien plus graves, aux états-généraux de 1356, année fatale, où, par suite d’une bataille imprudemment livrée, on vit le roi prisonnier, la plupart des nobles tués ou pris dans la déroute, les forces du royaume anéanties et le gouvernement dissous au milieu de la guerre étrangère, des discordes intestines et de l’irritation des esprits.

Le désastre de Poitiers excita dans les classes roturières un sentiment de douleur nationale, mêlé d’indignation et de mépris pour la noblesse qui avait lâché pied devant une armée très inférieure en nombre. Ceux des gentilshommes qui, revenant de la bataille, passaient par les villes et les bourgs, étaient poursuivis de malédictions et d’injures[4]. La bourgeoisie parisienne, animée de passion et de courage, prit sur elle, à tout événement, le soin de sa propre défense, tandis que le fils aîné du roi, jeune homme de dix-neuf ans, qui avait fui l’un des premiers, venait gouverner comme lieutenant de son père. C’est sur la convocation de ce prince que les états s’assemblèrent de nouveau à Paris avant le terme qu’ils avaient fixé. Les mêmes députés revinrent au nombre de plus de huit cents, dont quatre cents étaient de la bourgeoisie, et le travail de réforme ébauché dans la précédente session fut repris, sous la même influence, avec une ardeur qui tenait de l’entraînement révolutionnaire. L’assemblée commença par concentrer son action dans un comité de quatre-vingts membres, délibérant, à ce qu’il semble, sans distinction d’ordres ; puis elle signifia, sous forme de requêtes, ses résolutions,

  1. Ordonnance du 28 décembre 1355, art. 2, Recueil des Ordonnances des rois de France, t. III, p. 22.
  2. Ibid., art. 5. — Ibid., art. 6, 7, 8, 9, 11, 12, 13, 18, 19 et 32.
  3. Chronique de Saint-Denis, édit. de M. Paulin Paris, t. VI, p. 19.
  4. Chronique de Froissart, t. 11, 2e partie, ch. 52.