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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/548

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successeurs, jusqu’au milieu du XIVe siècle, et qui eurent en général pour occasion des guerres ou des changemens de règne. Mais, sous le roi Jean, la détresse publique et l’excès des malheurs nationaux donnèrent aux communes de France un élan de passion et d’ambition qui leur fit tenter des choses inouies jusque-là, et saisir tout d’un coup et pour un moment cette prépondérance du tiers-état qui ne put être fondée sans retour qu’après cinq siècles d’efforts et de progrès.

Deux siècles écoulés depuis la renaissance des libertés municipales avaient donné aux riches bourgeois des villes l’expérience de la vie politique, et leur avaient appris à connaître et à vouloir tout ce qui, soit dans l’enceinte des mêmes murs, soit sur un plus vaste espace, constitue les sociétés bien ordonnées. Pour les cités et les communes, quelle que fût la forme de leur gouvernement, l’ordre, la régularité, l’économie, le soin du bien-être de tous, n’étaient pas seulement un principe, une maxime, une tendance, c’était un fait de tous les jours, garanti par des institutions de tout genre, d’après lesquelles chaque fonctionnaire ou comptable était surveillé sans cesse et contrôlé dans sa gestion. Sans nul doute, les mandataires de la bourgeoisie aux premiers états-généraux, appelés à voter des subsides et à voir comment on les dépensait, furent vivement frappés du contraste qu’offraient l’administration royale avec ses tentatives hasardées, ses ressources frauduleuses, ses abus anciens ou nouveaux, et l’administration urbaine, suivant des règles immémoriales, scrupuleuse, intègre, équitable, soit de son propre mouvement, soit malgré elle. Parmi ces hommes d’intelligence nette et active, les plus éclairés durent concevoir la pensée d’introduire au centre de l’état ce qu’ils avaient vu pratiquer sous leurs yeux, ce qu’ils avaient pratiqué eux-mêmes d’après la tradition locale et l’exemple de leurs devanciers. Cette pensée, d’abord timide en présence de la royauté qui ne la sollicitait pas, et des corps privilégiés qui ne prenaient conseil que d’eux-mêmes, se fit jour quand des nécessités extraordinaires, amenées par la guerre au dehors et les dilapidations au dedans, forcèrent le roi et ses ministres à chercher du secours à tout prix, et mirent à nu leur impuissance à remédier aux malheurs publics.

C’est de là que vint l’esprit d’innovation qui éclata si subitement et avec tant d’énergie dans les états-généraux de 1355. Les résolutions de cette assemblée, auxquelles une ordonnance royale donna sur-le-champ force de loi, contiennent, et dépassent même sur quelques points, les garanties dont se compose aujourd’hui le régime constitutionnel. On y trouve l’autorité partagée entre le roi et les trois états représentant la nation et représentés par une commission de neuf membres ; l’assemblée des états s’ajournant d’elle-même à terme fixe ; l’impôt réparti sur toutes les classes de personnes et atteignant jusqu’au roi ; le droit de