Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/559

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

moyen-âge fût ébauchée, se fiant à la clarté douteuse de quelques notions imparfaites, n’ont pas hésité à opposer le siècle de saint Louis au siècle de Louis XIV, à s’armer de la gloire de l’un contre l’autorité de l’autre, et à déclarer que, si le premier avait manifesté à la France son propre génie, le second lui en avait obscurci l’image et dérobé l’originalité. Cela est-il vrai ? cela est-il possible ? Une grande nation, comme est la France, est-elle donc tellement livrée au hasard que, dans le cours de sa vie, elle puisse aller à des extrémités aussi opposées que celles dont on nous a parlé ? Dans sa vieillesse, serait-elle donc réduite à chercher quelle a été sa véritable destinée entre deux siècles qui se contredisent et se condamnent mutuellement ? Non ; elle emploiera mieux les jours qui lui sont encore comptés, et, si elle ne devait plus égaler ses deux grands siècles, elle saurait du moins que dans tous les deux, malgré les apparences différentes, elle fut fidèle à elle-même. M. Fauriel est un des hommes qui auront le plus contribué à donner cette démonstration. Son livre, qu’on peut considérer comme l’introduction excellente et nécessaire de l’histoire du siècle de saint Louis, prouve avec évidence que, dans cette première saison accordée à son génie, aussi bien que dans celle qui la renouvela après un long intervalle, la France puisa aux sources de la vie et de l’esprit antiques. Rattacher la civilisation du nord à celle du midi, dans celle-ci remonter, par d’habiles analyses, des œuvres modernes qui semblent les plus spontanées aux traditions des anciens, retrouver enfin dans les troubadours, à travers les transformations, un reste de l’éclat de la Grèce et de la sobriété de Rome, tel est le dessein que M. Fauriel a poursuivi. En l’accomplissant, il a remis en lumière cette suite et cette unité de l’intelligence française que de fougueux partisans du moyen-âge ont contestées, et que semblent désormais appelés à confirmer les travaux même entrepris par les esprits les plus légers.

Le livre de M. Fauriel n’est pas seulement destiné à nous donner une idée juste des origines et du plan de notre littérature ; il ouvre une série de questions qui embrassent jusqu’à ses derniers développemens, et qui peuvent y jeter des clartés utiles. Il est, par exemple, une demande qu’on entend faire aux habitans du midi comme à ceux du nord de la France, et qu’un homme également remarquable par la justesse et par l’élévation de l’esprit, M. Vitet, vient encore de poser avec éclat dans une solennité académique. Pourquoi nos grands poètes, Malherbe, Corneille, Molière, La Fontaine, Boileau, Racine, Voltaire, sont-ils nés à Paris ou au-dessus de la Seine ? Pourquoi, au contraire, les prosateurs, Montaigne, Balzac, Pascal, Bossuet, Fléchier, Fénelon, Massillon, Montesquieu, Buffon, Rousseau, sont-ils nés non-seulement hors de Paris, mais au-dessous de la ligne qui prolongerait le bassin principal de la Loire ? Ce phénomène est d’autant plus frappant, qu’il paraît d’abord contraire aux lois de la vraisemblance ; il semblerait, au premier regard, que la poésie, fleur plus colorée et plus odorante, devrait éclore sous les rayons plus chauds du ciel méridional, et que la prose, qui a plus besoin de réflexion et de suite que d’images et de feu, devrait être l’instrument favori des habitans plus froids de nos provinces septentrionales. Il n’en va pas ainsi, et dans l’époque, régulière par excellence, où la vie de notre pays s’est exprimée par les formes savantes d’une littérature classique, c’est le midi qui a produit les prosateurs, c’est le nord qui a vu naître les poètes. Comment expliquer ce résultat singulier et, à ce qu’il