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rigides qu’occupait jadis le manoir des Beaumont. Il dominait les méandres tracés par la sirène dauphinoise en s’adossant contre un mur de rochers âpres, nus, taillés à pic, tandis qu’autour de lui et devant lui s’étalait et s’étale encore une végétation opulente comme en Lombardie, verte comme en Suisse. De la plate-forme de la grosse tour, on découvrait, au-delà de l’Isère, les pentes boisées de la rive gauche ; au-delà des pentes boisées, rampes de velours vert, les forêts de sapins ; au-delà des forêts de sapins qui ondulent, les pâles glaciers, les rochers des Sept-Lacs et de Belle-Donne.

Comme celui du connétable de Lesdiguières, le château de la Frette renfermait dans ses vastes murailles, plusieurs fois repliées sur elles-mêmes, un parc, des jardins, des eaux, et tout ce qui pouvait adoucir, au XVIe siècle, l’existence rude et monotone des seigneurs féodaux. Quant à l’intérieur, c’était une suite de pièces longues, hautes et froides, communiquant l’une dans l’autre par des portes basses, faciles à murer, afin que chaque division du château devînt au besoin un lieu de défense. Deux tours pouvaient, par la rupture ou le retrait d’un pont, se changer en un bastion imprenable, et servir à reconquérir le reste de la forteresse compromise. Tout était construit en vue de la défense et de la fuite. Les escaliers étaient raides, étroits, tortueux, obscurs. « Avec un sac de noix et deux allumettes, disait le baron des Adrets, je veux empêcher une armée d’ennemis de s’introduire dans l’escalier de mon château, et les enfumer quant et quant. » Il n’eut jamais besoin de recourir à ces moyens pleins d’humanité, car on n’osa jamais venir le relancer dans son aire, lui qui, comme on le verra plus loin, porta l’incendie, le carnage et la mort dans tant de châteaux.

La chapelle du château de la Frette était dans les parties basses de la construction, et ne recevait le jour que par les fossés. On y descendait par un escalier tordu en colimaçon, au pied duquel s’ouvrait une chaire en bois de chêne. Les armoires, faites du même bois, travaillé dans le goût du temps, renfermaient des reliques apportées des croisades par les chevaliers de la maison de Beaumont, qui étaient allés en Terre-Sainte. A chaque angle des murs de la chapelle était fixée une bannière aux armes de la famille, brodée par les femmes, et qu’on promenait dans diverses circonstances particulières. L’une était sortie pour implorer la pluie après de longs mois de sécheresse, l’autre pour faire cesser l’épidémie quand elle désolait le canton ; mais elles étaient toutes déployées les jours solennels de Noël, de Pâques et de la Fête-Dieu. Suivies de tous les vassaux, elles se montraient au fond des vallées, au sommet, de la montagne et le long du fleuve, au milieu des chants, des encensoirs et des pluies de fleurs. De lumineux vitraux, qui venaient ordinairement de la Suisse, où l’on excellait à les peindre, épanouissaient leurs vives couleurs sur ces objets d’un culte sévère et simple, et