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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/631

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comme l’ancien frère d’armes de Bayard. Des Adrets ne devait plus reprendre du service que sous Henri II. C’est dans le cours de sa convalescence qu’il voulut confier à La Coche une partie des projets qu’il mûrissait en silence. Près de son lit étaient ouvertes sur une table des cartes géographiques, et éparpillées sur des fauteuils les nombreuses lettres qu’on lui écrivait de Paris, alors comme aujourd’hui le foyer de l’avenir. Longue et amaigrie, la tête souffrante du malade se souleva et se tourna, appuyée contre une pile de coussins, du côté du petit capitaine. Le baron fit un effort pour lui parler.

La chambre du baron était placée au troisième étage du donjon et en occupait la moitié du diamètre. Tant de poutres grossièrement équarries, tant de supports qui arc-boutaient ces lourdes poutres, se croisaient au plafond, d’où pendaient des nappes d’araignées, que l’obscurité de la pièce repoussait avec avantage les maigres filets de lumière filtrant à travers les petits vitraux de plomb. L’impression de tristesse qui tombait sur le front, quand on pénétrait dans cette chambre, s’augmentait des rumeurs confuses, des murmures mornes, des soupirs et des râles plaintifs qui allaient et venaient dans la tour, long tube par où le château ne respirait jamais sans causer un frisson de terreur à ceux qui n’avaient pas l’habitude de ces demeures. Ce ronflement perpétuel dans ces poumons de pierre prêtait aux châteaux une existence fantastique. En les croyant vivans, on croyait vivre aussi dans leurs entrailles agitées. Tout autour de cette chambre demi-circulaire étaient fichées dans le mur des cornes de cerf et des défenses de sanglier. À ces étranges patères pendaient, avec un désordre et un pittoresque augmentés par la chute des toiles d’araignée, des bonnets de chasse, des colliers, des dagues, des chapeaux, des fouets, des étrivières, des couteaux, des laisses pour les chiens, des gantelets, des arbalètes, de gros chapelets. On se peint sans difficulté l’effet bizarre de ces objets de toilette et de ces ustensiles balancés sur les pointes de ces innombrables massacres de cerf, au milieu du brouillard bleuâtre répandu dans la chambre. Entre les deux croisées se voyait le dressoir, buffet à deux étages, sur lequel reposait la rare littérature du temps, à savoir : la Bible, les Quatre Fils Aymon, Oger le Danois, Mélusine, la Légende dorée, le Roman de la Rose, le Calendrier des Bergers. Contre la porte, on apercevait encore, liés par groupes, par faisceaux, par gerbes, des hallebardes, des arcs, des carquois, des rondelles, des flèches, des épées, des instrumens de pêche et de chasse, pieux, lignes, gaules, bâtons ferrés, enfin les principales armes offensives et défensives du temps, mais toujours voilées par un nuage de toiles d’araignée. De distance en distance, à partir de cette porte, qui était basse et étroite jusqu’à la moitié de la chambre, on se heurtait à des coffrets pleins de son. Ces coffrets étaient destinés à garder les cottes de mailles, et le son à les empêcher