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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/632

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de contracter de la rouille. Voilà, sauf quelques légères omissions, la description de la chambre du baron des Adrets, et la peinture exacte d’un appartement de seigneur féodal dans un château-fort-au XVe siècle et pendant une bonne partie du XVIe. N’oublions pas les chiens cependant, ces gardiens, ces compagnons et ce plus beau luxe de la société féodale après les chevaux. Ils avaient le droit d’entrer partout au château et le privilège de se coucher où bon leur semblait. Depuis le chien du berger jusqu’à l’épagneul, toutes les espèces de chiens pullulaient dans les appartemens. C’était leur bon temps. Ils vivaient de la chasse, dont ils faisaient vivre leurs maîtres. Ils avaient des domestiques, des valets et des précepteurs en vénerie. Aussi les lits, les fauteuils, les tables, les bahuts, les appuis de croisée, les escaliers, les cours, étaient couverts de chiens noirs, blancs, fauves, bassets ou lévriers, qui étaient beaucoup plus estimés que les vassaux et les serfs.

D’une voix essoufflée, mais qui n’avait rien perdu de son autorité, le baron dit :

— La Coche, nous nous rouillons ici…

— Je ne le sais que trop, baron.

— Il s’en va temps que je guérisse.

— Plaise à Dieu et à Notre-Dame d’Embrun !… Il nous faut patienter encore quelque temps…

— S’il ne s’agissait que de patienter !… Malheureusement je ne vois pas venir de guerre sérieuse… L’Italie, toujours l’Italie ! il serait bon de travailler à une autre vigne, que je crois…

Après avoir regardé en silence la bonne figure enluminée et bénignement scélérate de La Coche, qui ne savait ce que signifiait cet examen si prolongé, le baron des Adrets dit à demi-voix à son ami :

— Capitaine La Coche, as-tu une opinion arrêtée sur la question qui divise depuis quelque temps la reine Catherine de Médicis, le prince de Condé et le duc de Guise ?

Un coup de soleil n’aurait pas causé une pareille rougeur d’étonnement sur le visage du capitaine.

— Une opinion… pourquoi faire ?

— Je te demande si tu penches dans ton cœur pour les catholiques ou pour les huguenots ?

— Et vous, baron ?

— Quand je te demande ton opinion, dit, d’une voix qui marquait l’impatience du malade et l’aigreur de la contrariété, le sombre baron, je n’ai pas besoin de te dire la mienne, il me semble…

— Vous avez raison, mais, si elles se ressemblaient, j’en serais enchanté…

— Voyons vite ton opinion… tu me donnes la fièvre.

— Eh bien ! mon opinion est que je suis bon catholique.