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— C’est vrai, mais il y en a moins que jamais aujourd’hui… J’ai là des lettres menaçantes,… des projets,… des complots ;… cela pourrait très mal finir.

— C’est-à-dire très bien, baron, puisqu’on se battrait.

— C’est ce que j’ai voulu dire, capitaine La Coche.

— Et que ferions-nous, nous autres ? reprit modestement et d’un accent angélique le petit capitaine, si l’on se cognait un peu dans nos montagnes ?

— Nous disions, reprit le baron des Adrets dont le regard malade s’illuminait de plus en plus, dont les joues livides s’empourpraient, nous disions que les seigneurs dauphinois, les Angelin, les Ferrand-Tête, les Menze, les Maugiron, les Saillan, les André de la Porte, les Dupuy de Montbrun, les Saint-Auban, les Guy Pape, les Mary de Vesc, les de l’Estang et mille autres déploieraient, les uns la bannière du protestantisme, les autres celle du catholicisme, à la grosse tour de leurs châteaux. Et de là les jalousies, les haines, les défis, les provocations, les menaces, les coups, la guerre ! La guerre ! répéta le baron des Adrets d’une voix si tonnante, qu’il fit trembler les petits carreaux des vitraux de sa chambre.

La Coche fut tellement et si vivement entraîné par le courant de cet enthousiasme, qu’il se moucha. Il se crut les pieds dans le sang, la tête dans l’incendie, les mains dans le pillage. Enfin il put dire, après le temps donné à l’émotion

— Mais quelle bannière arboreriez-vous à votre grosse tour, vous, baron ?

D’un accent moins franc que son cri de guerre, le baron répondit à La Coche :

— La légitime.

— Bien ! dit naïvement La Coche… Et la légitime, c’est ?…

— C’est la meilleure, répliqua des Adrets.

— Bien !… Alors nous serions pour les…

— Pour nous.

— Très bien, répéta le capitaine ; nous serions pour nous contre les autres.

— Allons, tu commences à comprendre, La Coche. Tu comprendras aussi que, pour faire la guerre avec profit, avec certitude, en hommes d’armes enfin, il importe, avant toutes choses, de bien connaître les lieux où on la porte, les ressources du pays, les rivières qui l’arrosent, les bois où l’on peut se cacher, les montagnes par où l’on arrive sans être signalé, les châteaux-forts qu’occupent les ennemis… Moi, je connais mieux l’Italie que le Dauphiné, où je suppose que les trois bannières dont je viens de te parler se croiseront bientôt comme des éclairs ; mais toi, qui sais ton Dauphiné…