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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/635

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— Moi, baron, je connais le Dauphiné comme si je l’avais cent fois pillé.

— Que sais-tu du château de Traconnière ?

— Fi donc ! nous n’y trouverions pas une maille à voler… Les Traconnière ont tout donné en mariant leurs filles.

— Il ne s’agit pas de leur argent, mon brave La Coche, mais de leurs fauconneaux, de leurs compagnies d’arbalétriers…

— Ne me parlez pas de ce château… c’est une bouteille vide, baron, à un autre.

— Et la maison-forte de Dorgeoise ? penses-tu qu’il y aurait du mal à la prendre ?

— Il n’y aurait que du bien ; les Dorgeoise passent pour avoir les plus beaux diamans.

— Qui donc te parle de diamans ?

— Mais c’est moi qui en parle.

— Voyons, La Coche, puisque tu possèdes si bien la connaissance de notre pays, réponds-moi sans penser à l’or ni aux diamans. Après combien de jours de siége penses-tu qu’on prendrait les châteaux de Champ, de Monestier, de Montbonnet, de Tencin, de Grane, de la Tivolière ? .

— Prenons-les tout de suite ! s’écria le capitaine La Coche, à qui le baron des Adrets venait de faire goûter le carnage ; tout ça regorge de vins, de trésors, de beaux habits, d’étoffes de soie, de tonnes d’or, de tissus d’Orient. de… Mais, s’apercevant qu’il faisait un rêve, il se reprit - Pourquoi, baron, vous amusez-vous ainsi de moi ? Est-ce que jamais nous ferons la guerre à tous ces seigneurs, tous parens entre eux presque tous vos parens ?…

— La Coche, garde-moi le secret.

— Baron, vous me soupçonneriez ?…

— Non ; mais toujours est-il prudent de t’avertir…

— Je vous jure que rien ne sortira de ma bouche… Seulement, ajouta La Coche, car il n’était pas si simple qu’il le paraissait quelquefois, voudriez-vous me faire part de ce que vous m’avez confié ?

Le baron des Adrets sourit, du moins autant qu’un homme comme lui pouvait sourire, et il dit ensuite : — La Coche, tu vas me nombrer et détailler par écrit toutes les forces renfermées dans les châteaux du Dauphiné, du Lyonnais et de la Provence… mais malheur à toi si tu t’occupes d’autre chose dans ton travail. Il y a temps pour tout… Aujourd’hui, sois soldat… dans peu, tu seras conquérant, et par conséquent pillard.

— Votre parole, baron ?

— Veux-tu me vendre ta part de rapine dix mille livres de revenu ?

Quelques mois après, lorsque le baron fut tout-à-fait guéri et capable de reprendre le casque et la cuirasse, il reçut de Charles de Cossé-Brissac, maréchal du royaume sous Henri II, lieutenant du roi en