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que vous rapportiez à votre maître que vous avez trouvé des Adrets, son très humble serviteur, dans un grand chemin, avec un bâton à la main et sans épée. »

Il vécut encore un an dans les pratiques de la plus austère piété et de la piété catholique. Il avait eu deux fils et deux filles ; les deux fils moururent sans postérité, les deux filles ont laissé une descendance dont quelques rameaux fleurissent encore honorablement. Sa femme était de la martiale maison de Gumin-Romanesche.

Son nom a rempli le monde d’épouvante pendant près d’un siècle, et l’ébranlement n’a pas cessé surtout dans le midi. Le peu de lignes qu’il a écrites au courant des batailles dénotent, comme nous l’avons prouvé, une main qui aurait été aussi ferme à tenir la plume que l’épée. Il a eu cela de commun avec les grands capitaines. « Pourquoi, lui disait-on un jour, n’avez-vous pas été aussi heureux à la tête des catholiques que lorsque vous commandiez les huguenots ? » Il répondit : « Étant avec les huguenots, j’avais des soldats, et depuis je n’ai eu que des marchands. Je n’ai pu fournir des rênes aux premiers, et les autres ont usé mes éperons. »

Sa devise était :

IMPAVIDUN FERLENT RUINAE.

Il oubliait qu’Horace recommande cette fermeté à l’homme juste, s’il veut égaler Hercule et Pollux, et non à l’homme cruel dont le courage n’est qu’un vice de plus.


L’histoire et la poésie ont le droit de demander compte à l’écrivain de l’utilité qu’il trouve à la résurrection laborieuse de ces habitations qui ont vu fermenter dans leurs sombres carrés de pierre des passions si extraordinaires. Elles ont d’autant plus ce droit, qu’elles ne moissonnent jamais dans le passé, avec leur serpe d’or, sans en rapporter une leçon ou un charme. La leçon est grande ici. A deux fois, cette fougueuse province du Dauphiné a entrepris, par la main sacrée de ses gentilshommes, une immense révolution. La première fut une révolution religieuse, la seconde une révolution sociale ; la première tua au nom du Seigneur, la seconde au nom de la liberté ; la première, sous peine de mort, forçait les hommes à aller au prêche ; l’autre punissait de mort quiconque allait au prêche ou à la messe. Au XVIe siècle, Lyon fut saccagé par les démocrates religionnaires ; au XVIIIe siècle, il le fut par les démocrates révolutionnaires. Au XVIe siècle, la Saône, qui passe d’un côté de la ville, fut rouge de sang ; au XVIIIe siècle, le Rhône, qui passe de l’autre côté, fut ensanglanté. Au XVIe siècle, Collot-d’Herbois s’appelait le baron des Adrets ; au XVIIIe siècle, le baron des Adrets s’appelait