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les sauvages en extraient la cervelle par les cavités inférieures, à l’aide d’un morceau de bambou taillé en forme de cuillère. Ils font sécher ensuite la tête devant un petit feu, de manière à conserver les cheveux et les chairs ; pendant cette opération, les chefs et les anciens de la tribu exécutent une danse guerrière. Quel spectacle attristant de voir ainsi, auprès de la civilisation se frayant une voie nouvelle, tous les excès de la barbarie la plus sauvage ! A Rembas, les Dyaks renouvelèrent ces horribles scènes.

Nous ne savons si d’aussi féroces auxiliaires étaient indispensables aux Anglais. Au milieu des excès les plus révoltans, de la dévastation, du pillage, de l’incendie et de ces outrages odieux aux cadavres des ennemis, on aimerait du moins à rencontrer, dans le récit du capitaine Keppel, un sentiment de répulsion et d’horreur. En parlant de la ruine de je ne sais plus quel village, il nous dit tranquillement : « La même œuvre de destruction fut exécutée ; comme la ville était fort étendue et que la nuit survint, l’embrasement produisit un grand effet. » Voilà sa seule réflexion.

L’expédition contre les Sakarrans, qui eut lieu un an plus tard, au mois d’août 1844, après un voyage de la Didon à Calcutta et en Chine, ressemble beaucoup à celle dont nous venons de rapporter quelques épisodes. Les mêmes incidens se reproduisent : la rivière est barrée avec des pieux, on échange quelques coups de fusil le long de la route ; on pénètre dans les forts ennemis dès la première décharge, et la dévastation commence. Un des frères du rajah Muda-Hassim, le pangeran Budrudeen, accompagnait M. Brooke, et son départ fut l’objet d’une certaine solennité. Au village de Patusen, bâti sur la rivière nommée Batang-Lupar, dans laquelle débouche le Sakarran, on trouva des habitations pour cinq mille sauvages, quatre forts, plusieurs batteries, plus de soixante canons de cuivre, qui furent enlevés, et une quinzaine de canons en fer, qu’on jeta dans le fleuve après les avoir encloués. Quelques jours après, dans une vive rencontre entre des barques qui allaient en avant et des bateaux pirates, des flèches empoisonnées, lancées à l’aide du sumpitan, percèrent plusieurs Dyaks de la flottille anglaise. Grace à un traitement immédiat, les blessés échappèrent à la mort. Le chirurgien de la Didon enlevait les parties atteintes, et des indigènes suçaient ensuite le poison qui pouvait rester dans la plaie. L’expédition se termina par la prise et l’incendie du principal village des pirates, nommé Karangan.

La ruine de deux peuplades aussi fameuses que celles des Sakarrans et des Sarebus a eu un grand retentissement parmi les tribus maritimes de ces parages. Toutefois le coup n’est pas décisif ; l’avantage obtenu est purement local, il profite surtout à la province de Sarawak et à son