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neuf cents hommes, vint rejoindre les Anglais, poussée par le désir d’enlever du butin et de couper des têtes. On prit d’abord ces nouveaux auxiliaires pour des ennemis. Chaque homme portait un bouclier et une poignée de lances ; quelques-uns avaient une espèce de carabine en mauvais état, plus dangereuse à leurs voisins qu’à tout autre. L’ordre avait été donné par le capitaine Keppel de faire feu sur eux, et le hasard seul les préserva de la décharge d’une pièce de 6. On leur distribua d’abord des morceaux de calicot blanc, dont ils ornèrent leur coiffure en guise de cocarde, afin d’éviter toute méprise ultérieure. On convint en outre d’un mot d’ordre que la plupart, tremblant de crainte devant les Européens, croyaient devoir répéter continuellement.

Après la prise de Paddi, les indigènes attachés à l’expédition se répandirent alentour, pillant, brûlant et saccageant les propriétés de l’ennemi avec une joie féroce. Ces hordes brutales, animées par le seul plaisir de la vengeance et de la destruction, ne pouvaient guère mieux discerner les motifs de la guerre que les pirates vaincus ne pouvaient comprendre pourquoi l’exercice d’une industrie héréditaire attirait sur eux des étrangers inconnus, dont ils n’avaient jamais ravagé la terre ni massacré les enfans.

Durant la nuit, une vive alerte semblait présager pour le lendemain un nouveau combat. Les Sarebus s’étaient réunis en grand nombre ; mais, en voyant les dispositions prises par les Anglais pour remonter le fleuve, ils demandèrent la paix, promettant d’en accepter toutes les conditions. Appelés à une conférence par le capitaine Keppel, les chefs écoutèrent d’un air soumis et découragé la parole de M. Brooke, qui servait d’interprète et les menaçait de nouveaux désastres, s’ils recommençaient leurs brigandages. Ils renoncèrent pour toujours à la piraterie et offrirent des otages en garantie de leur bonne conduite. Deux autres villages, Pakoo et Rembas, situés à quelque distance de la rivière Sarebus, sur deux de ses affluens, furent ensuite visités par la flottille. A Pakoo, les pirates s’enfuirent à l’arrivée des Anglais, frappés d’une terreur irrésistible par la discipline et les procédés européens. Là, comme partout, les sauvages ne reculaient pas devant la force matérielle qui ne les eût point effrayés ; ils fléchissaient devant l’intelligence supérieure d’ennemis réputés invincibles. En se soumettant, ils demandèrent la vie de leurs enfans et de leurs femmes, prêts eux-mêmes à mourir si le vainqueur l’ordonnait. L’œuvre de destruction fut accomplie, comme à Paddi, par les Dyaks et les Malais. Quelques-uns des Dyaks-Singé de Sarawak réussirent à enlever des têtes, probablement celles des hommes tués ou blessés dans les forts à la première décharge. Le capitaine Keppel raconte qu’il vit un des cadavres dont la tête avait été coupée, et dans lequel, en passant, chaque Dyak avait jugé convenable d’enfoncer une lance. Une fois en possession d’une tête humaine,