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préparer aux États-Unis l’invasion de ce vaste territoire. Nous révélions dernièrement les projets monarchiques de Paredès, instrument de l’Angleterre, qui voudrait engager la France, peut-être par des intérêts dynastiques, dans la lutte qui s’ouvrira tôt ou tard entre elle et l’Union. Nous apprenons aujourd’hui que, sans changer aucun de ses projets, le nouveau dictateur mexicain en a suspendu l’exécution pour ne pas ajouter une guerre civile à la crise extérieure qu’il a provoquée en chassant M. Slidell. Tandis qu’à Mexico les partis sont sur le point d’en venir aux mains, dans les provinces éloignées et sur les rives du Rio Grande une tout autre question s’agite. Là on ne se demande plus qui triomphera, de la république ou de la monarchie, de Santa-Anna ou de Paredès ; on délibère sur l’existence même du Mexique. Le Yucatan réclame formellement son annexion aux États-Unis, la Californie refuse de correspondre avec le gouvernement central, la Sonora convoque pour le courant de ce mois, à Alamos, une junte chargée de décider : 1 ° si cet état continuera à faire partie du Mexique ; 2° si, devenu indépendant, il lui sera plus avantageux de se gouverner lui-même ou de s’annexer. C’est en ce moment qu’une armée étrangère est aux portes de la république mexicaine, et qu’une flotte bloque ses rivages. Ses troupes se débandent au lieu de marcher à l’ennemi ; les généraux évacuent les villes frontières ; Matamoros n’attend qu’une sommation pour capituler, et peut-être apprendrons-nous bientôt qu’il ne reste plus au Mexique, sur le golfe, que Vera-Cruz et Tampico.

La question américaine entre donc dans une phase entièrement nouvelle par la rupture avec les États-Unis et les opérations militaires du Rio-Grande. On peut s’attendre à voir le cabinet de Londres tenter les derniers efforts pour engager dans cette affaire l’Europe monarchique, au nom des principes sur lesquels repose l’édifice social de notre continent. Il offrira un trône à l’Espagne, peut-être même à la France ; il montrera l’ambition de la jeune république et prendra soin d’étaler à tous les regards l’audace croissante de ses espérances et de ses projets. Mais la France est avertie ; elle sait que la république ne lui arrivera pas d’au-delà des mers, et nous doutons que notre gouvernement lui-même soit fort disposé à recommencer l’épreuve du Texas. Nous ne le lui conseillerions ni avec la chambre nouvelle ni même avec celle-ci.



V. de Mars.