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à laquelle son nom demeure attaché, et où l’esprit de réforme de 1357 reparut un moment, pour être aussitôt compromis par les actes sauvages et ignobles de la faction sur laquelle il s’appuyait[1].

Ici se rencontre un fait qui n’est pas sans exemple dans nos révolutions modernes, celui d’une alliance politique entre la classe lettrée, les esprits spéculatifs, et la portion ignorante et brutalement passionnée du tiers-état. Dans la municipalité de Paris, en 1413, Jean de Troyes, médecin renommé, homme d’éloquence autant que de savoir, siégeait à côté des bouchers Saint-Yon et Legoix en parfaite communion de sentimens avec eux[2]. Bientôt le corps savant par excellence, l’université, s’autorisa d’une assemblée de notables, inutilement convoquée, pour élever la voix, faire des remontrances et demander, en son propre nom et au nom du corps de ville, le redressement des abus et la réformation du royaume. Dans l’idée, à ce qu’il semble, d’associer pour cette grande tentative toutes les forces du tiers-état, elle invita le parlement à se joindre à elle et aux citoyens de Paris afin d’obtenir justice et réforme ; le parlement refusa, l’heure de l’ambition n’était pas venue pour lui, et du reste il ne voulait pas se commettre avec des théoriciens sans pratique des affaires et des démocrates de carrefour. « Il ne convient pas, répondit-il, à une cour établie pour rendre la justice au nom du roi, de se constituer partie plaignante pour la demander… L’université et le corps de ville sauront bien ne faire nulle chose qui ne soit à faire[3]. » Mais l’échevinage et l’université ne reculèrent pas ; celle-ci demanda qu’un jour fût assigné pour que les princes et le roi lui-même entendissent ses remontrances, et, au milieu d’un nombreux concours de bourgeois de Paris et des provinces, elle parla au nom du peuple par la bouche de ses professeurs, dénonça les griefs et proposa les remèdes comme l’eût fait un pouvoir politique, le grand conseil de la nation[4].

La cour était divisée et le roi incapable de rien comprendre et de rien vouloir ; le prince qui régnait alors sous son nom croyait mener le peuple à ses fins et se trouvait mené par lui. On céda, et les deux corps qui se portaient comme représentans de l’opinion publique, l’université et la ville, furent autorisés à présenter un plan de réforme administrative et judiciaire. Des commissaires dont le nom est resté inconnu se mirent à l’œuvre et obtinrent que toutes les anciennes ordonnances

  1. Chron. d’Enguerrand de Monstrelet, édit. de M. Buchon, Panthéon littéraire, p. 202. — Hist. de Charles VI, par Juvénal des Ursins, Mémoires, etc., t. II, p. 481, 4.82, 483, 484.
  2. Chron. du religieux de Saint-Denis, t. V, p. 8.
  3. Registres du parlement, cités par M. de Barante, Hist. des ducs de Bourgogne, 5e édit., t. III, p. 299.
  4. Chron. du religieux de Saint-Denis, t. IV, p. 738, 750, 766 et 768.