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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/844

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s’attendre, et qui tenait entièrement à la position spéciale du père Mathew vis-à-vis de la population de Cork, presque en totalité composée de catholiques.

Le père Mathew jouissait depuis long-temps à Cork d’une extrême popularité. Il la devait à son caractère intègre, à son ardente charité, et au zèle qu’il avait mis à doter la ville d’un cimetière catholique. Autrefois les catholiques étaient obligés d’enterrer leurs morts dans le cimetière protestant. Les pasteurs ne leur en refusaient pas l’accès, mais ils interdisaient au cortège de franchir le seuil de la porte à la suite du cercueil, encore moins permettaient-ils que l’on récitât des prières catholiques dans l’enceinte funéraire. C’était un triste reste des persécutions religieuses. Sur l’emplacement d’un ancien jardin botanique, acheté par lui à cet effet, le père Mathew fit construire, en 1830, un cimetière qu’il ouvrit ensuite à toutes les croyances, lorsque le choléra vint exercer ses ravages en 1832, donnant ainsi un exemple de charité chrétienne qui contrastait avec l’intolérance des protestans. Les personnes qui savent de quel pieux respect le bas peuple en Irlande entoure ses morts et l’importance qu’il attache à ce que l’enterrement ne manque jamais d’une certaine pompe comprendront aisément que le père Mathew eût conquis, par un tel acte, l’affection de tout le peuple de Cork. D’ailleurs, en 1830, l’érection d’un cimetière catholique avait presque l’apparence d’une conquête sur le protestantisme. Aussi à peine eut-on appris que le père s’était fait teetotaler, et qu’il administrerait lui-même le serment de tempérance, que tous les malheureux, qui avaient reçu de lui des bienfaits et des consolations, vinrent prêter ce serment, persuadés que tout ce qui leur était conseillé par le charitable capucin ne pouvait manquer de leur porter bonheur ; puis arrivèrent ceux qui, adonnés à la boisson, mais rougissant cependant de leurs excès, pensaient trouver la force de se réformer dans un engagement public et revêtu d’un caractère religieux. Les curés encouragèrent le mouvement du haut de la chaire et dans le confessionnal. Peu à peu l’exemple fut suivi par toute la population du comté, et le père Mathew se vit obligé de consacrer deux jours par semaine à recevoir les sermens. Les recrues ne tardèrent pas à arriver aussi de Limerick, à vingt lieues de Cork. Des hommes qui n’avaient fait que boire toute leur vie et qui auraient mis à sec la mer, si elle eût été de whisky, vinrent spontanément jurer entre les mains du père Mathew qu’ils renonçaient à leur boisson favorite. De retour chez eux, le changement qui s’opéra dans les mœurs de ces vieux ivrognes et le bien-être qui résulta de leur amélioration morale frappèrent tellement les esprits, que bien des gens commencèrent à crier au miracle. Pour la première fois, on douta à Limerick que le whisky fût une des nécessités de la vie ; des troupes entières de néophytes affluèrent à