Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 14.djvu/864

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mais tout aussi rapprochés de lui, l’entourent comme d’un cercle redoutable. Leurs produits viennent lui disputer la consommation jusque sur le territoire qui lui semble réservé. Sur la place de Lyon, il rencontre les charbons de Blanzy ; dans la vallée du Rhône, il rencontre les produits d’Alais. Supposons que certaines localités voisines restent plus particulièrement soumises à son influence, pourrait-il les opprimer ? Les départemens de la Loire et du Rhône ne consomment que la moitié de la production du bassin ; l’autre moitié s’exporte dans l’Isère, dans l’Ardèche, et dans un grand nombre de départemens de la France ; une partie même s’écoule à l’étranger. Si le bassin de la Loire voulait opprimer les usines qui l’entourent, il faudrait donc, ou qu’il eût deux prix, l’un pour la localité, l’autre pour le dehors, ce qui serait impraticable, ou bien qu’il réduisît sa production, ce que la loi défend, et ce que l’état ne pourrait permettre. Le bassin de la Loire, forcé de produire, sera donc toujours forcé de vendre. Or, pour les charbons qu’il est forcé d’écouler au dehors des départemens de la Loire et du Rhône, il trouve partout des élémens de rivalité. Dans les fabriques d’Alsace, il rencontre les houillères de Ronchamp, d’Epinac, de Saône-et-Loire et de Sarrebruck ; dans la vallée de l’Allier, les mines de Bert et de Fins ; sur les bords de la Loire, Decize et Blanzy ; à Marseille, les mines de la Grande-Combe et les charbons anglais ; et, quand les grandes lignes de l’est et du midi seront terminées avec tous leurs embranchemens, cette ceinture qui environne déjà le bassin de la Loire se resserrera de plus en plus. Pour lutter contre tant de rivaux, il sera toujours forcé de modérer ses prix.

Comme on le voit, la tendance des concessionnaires de mines à concentrer leurs forces sur les divers bassins de la France est, pour les uns, le résultat d’une nécessité présente ; pour les autres, c’est une mesure de prévoyance qu’il est aisé de justifier. Pour autoriser cette tendance de l’esprit d’association, faut-il donc attendre que la concurrence extérieure, jointe à la concurrence locale, ait amené sur chaque bassin houiller de nouvelles catastrophes, et que les concessionnaires n’aient plus à rassembler que des ruines ?

D’ailleurs, ce qui se passe aujourd’hui dans l’industrie des mines ne se passe-t-il pas dans toutes les industries ? Partout, en France, les capitaux individuels, trop faibles pour supporter la lutte, s’associent et concentrent leurs forces. Vous avez livré à l’esprit d’association les grands travaux d’utilité publique ; vous avez remis les chemins de fer à des compagnies puissantes ; il était facile de prévoir que la création de ces grands centres industriels et financiers réagirait sur l’ensemble de notre système économique. Là où la liberté existe, dès qu’une nouvelle force se montre, d’autres forces de même nature s’organisent, et, après une lutte plus ou moins vive, le niveau se rétablit. Les grandes entreprises de chemins de fer ont donc poussé les capitaux à se concentrer et à s’agglomérer dans les autres branches de l’industrie. On a vu les manufacturiers, les marchands de bois, les propriétaires de vignobles, s’associer ; on a vu les capitaux former d’immenses comptoirs, et tout le monde sait que ces vastes associations de l’industrie manufacturière, du commerce et de la banque sont bien autrement menaçantes pour la société que ne peuvent l’être les compagnies houillères, puisque l’industrie houillère est tenue de produire et de vendre sans interruption, tandis que la loi n’oblige pas de mesurer l’escompte selon les besoins du commerce, ni l’activité des manufactures selon les besoins des consommateurs. Quoi qu’il en