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ne permet pas d’ajouter quelque chose aux appointemens attachés à ses fonctions ? Comment établir des rapports utiles et pénétrer dans la bonne compagnie, s’il est interdit de se placer à son niveau par les habitudes de la vie ? C’est surtout à l’étranger et pour les hautes fonctions diplomatiques que cette insuffisance est sensible et souvent dommageable aux grands intérêts du pays. L’Angleterre alloue à ses agens des traitemens énormes ; les États-Unis d’Amérique ne les rétribuent pas moins largement, et l’Union est, en cela, fidèle au principe qui domine dans ses mœurs comme dans ses lois. La première conséquence du régime démocratique est, en effet, de supprimer d’une part toutes les fonctions gratuites, et de l’autre d’élever tous les traitemens pour rendre les grandes situations accessibles à tout le monde. La monarchie de 1830 avait, dans les jours qui suivirent son établissement, opéré dans un sens évidemment contraire à son esprit et à sa tendance naturelle, en réduisant les émolumens attachés aux fonctions publiques, et c’est pour rétablir l’harmonie entre les faits sociaux et les principes du gouvernement que les chambres se trouvent saisies à chacune de leurs sessions de demandes d’augmentations le plus souvent justifiées.

Le service de l’instruction publique a été libéralement doté par la chambre. Toutes les augmentations consenties par la commission du budget ont été votées sans résistance, et, si la délibération ne s’est pas ouverte sur plusieurs innovations proposées par M. de Salvandy, c’est que le ministre a lui-même accepté le renvoi à la session prochaine. Il est naturel, en effet, dans la situation provisoire qu’on a malheureusement faite à l’université, de la constituer légalement avant de présenter à l’approbation législative des institutions destinées à la compléter. M. de Salvandy n’en a pas moins obtenu des augmentations notables sur quelques chapitres, et le corps enseignant ne peut que s’en féliciter. La réorganisation de l’école des chartes sur un meilleur pied et avec un enseignement complet sera un service véritable rendu aux études historiques, et nous avons vu avec plaisir la chambre refuser d’adhérer sur ce point aux conclusions négatives de sa commission. Il reste à assurer l’avenir des jeunes gens qui se dévouent à cette vie laborieuse et modeste, et c’est un point auquel jusqu’à ce jour on n’avait guère songé. Il faut espérer que M. le ministre de l’instruction publique s’entendra avec son collègue de l’intérieur pour ériger en droit ce qui n’existe aujourd’hui qu’à titre de faveur, et garantir des positions aux hommes qui les auront si bien méritées.

Le budget de l’instruction publique était à peine voté, que chacun devançait par ses impatiences le grand débat qui allait suivre. Il a été en tout point digne de la longue attente qui l’avait précédé et de la majesté du gouvernement représentatif, dont il allait mettre à nu les rouages les plus secrets. Jamais la France réunie dans ses collèges n’a été mise plus complètement en mesure de se prononcer ; jamais la tribune ne lui a apporté autant de lumières. Ces débats si approfondis sur les hommes et sur les choses, ces paroles si vives dans une situation si calme, tant et de si hauts problèmes discutés devant un grand peuple qui, dans quelques semaines, va exercer sa souveraineté et prononcer en dernier ressort sur toutes choses : c’est là un beau spectacle qui témoigne du progrès de la raison publique et de la force de nos institutions.