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la pipe et l’emporte, et Catherine, à sa fenêtre, bat des mains. Jean-George est furieux, comme vous pensez, furieux contre le soldat, furieux surtout contre Catherine ; n’ayez pas peur, Catherine le ramènera bientôt. Aimable peinture ! joli tableau de Téniers, out brille, sous la familiarité des détails, une pure lueur de la grace morale ! Et tout cela est si net, si sincère, qu’on s’intéresse en vérité à l’éducation du rustre, comme aux transformations laborieuses du héros de George Sand.

M. Berthold Auerbach excelle dans ces narrations rapides ; il a raison pourtant de ne pas en abuser, et j’aime qu’il nous montre, non plus seulement un portrait, mais un tableau, une fable imaginée plus fortement, un petit drame où ses personnages se meuvent en liberté. Il y en a trois dans ce recueil qui se recommandent à l’attention particulière du lecteur, Ivon le Curé, Florian et Crescence et le Maître d’école de Lauterbach. Les critiques allemands ont signalé Ivon le Curé comme l’œuvre la plus heureuse de M. Auerbach, et je suis volontiers de leur avis. Si l’on voulait faire connaître en France l’aimable conteur dont je parle, c’est ce petit roman qu’il conviendrait de traduire. Le sujet est grave et charmant ; c’est la vie d’un jeune paysan entré au séminaire, ce sont les aventures de ce pieux et tendre jeune homme, les combats douloureux de son cœur, les péripéties, souvent bien tristes, bien navrantes, d’une destinée obscure et noblement tourmentée. Voyez que de poésie dans ce début ! C’est un samedi : le charpentier Valentine est fort occupé à l’église, les coups de marteau vont leur train ; on achève de clouer l’autel où le fils du tailleur dira le lendemain sa première messe, la chaire où il fera son premier sermon. C’est un événement à Nordstetten : les prémices (tel est le nom en Allemagne d’une première messe dite par le prêtre nouvellement ordonné), les prémices du jeune abbé sont une fête de famille pour tous les gens du pays. Or, tandis que le bonhomme Valentin travaille avec ardeur pour la cérémonie du lendemain, ses deux jolis enfans l’aident de leur mieux. Le petit Ivon surtout, avec son air éveillé et ses éternels pourquoi, est vivement agité. Tout en apportant les clous, les planches, le marteau, il renouvelle à chaque instant ses questions sans fin qui embarrassent plus d’une fois le bonhomme. Et le lendemain, pendant la messe, quand tout le village assiste aux prémices, quand le jeune prêtre monte en chaire, il faut voir le petit Ivon ouvrant ses grands yeux bleus et écoutant de toute son ame. Il n’a pas trop compris ce qu’a dit le prédicateur ; mais cet appareil inaccoutumé, les cierges, les chants, les conversations des bonnes gens, l’enthousiasme des mères, tout ce bruit et tout ce triomphe enivre de piété l’imagination de l’enfant. Il veut devenir prêtre aussi, et dire un jour dans l’église du village sa première messe et son premier sermon. Ainsi débute l’histoire d’Ivon, et Ivon