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Valentin est amené devant le juge pour avoir coupé une branche d’arbre dans la forêt, le Buchmaier ira avec lui et défendra le coupable. Si une ordonnance illégale est rendue, si l’on publie quelque prohibition injuste, il dirigera en personne une petite émeute pacifique, et, accompagné du village tout entier, il adressera à l’Oberamtmann une harangue qui est un vrai chef-d’œuvre de bon sens et d’éloquence populaire. Le Buchmaier cependant n’est pas toujours irréprochable ; que de fois n’a-t-il pas interprété d’une façon mesquine et jalouse les franchises qu’il défend, et pris ses préjugés pour des droits sérieux ! Heureusement notre ami le maître d’école, fort mal accueilli par lui, rectifiera ce bon sens honnête, mais étroit, qui s’entête souvent si mal à propos. Ainsi se développe dans ces tableaux divers l’unité de cette chronique aimable, chronique d’un village, vivantes archives d’une petite commune que l’on voit grandir et s’améliorer sous la direction de ses plus dignes enfans, réunion d’excellens portraits parmi lesquels se détachent surtout le séminariste Ivon et le maître d’école de Lauterbach.

J’en ai assez dit pour faire comprendre le mérite sérieux de la publication de M. Auerbach et pour expliquer le rapide succès qui l’a couronnée. Ce mérite est dans la nouveauté unie à un sentiment très filial de la tradition littéraire. Voilà des peintures vraiment allemandes, et cependant on ne leur reprochera pas l’idéalisme excessif, l’indifférence dangereuse qui a provoqué dans ces derniers temps une réaction si vive et si légitime. Pour échapper à cet idéalisme, pour se préparer aux luttes de la vie active, l’Allemagne a été entraînée à renier son génie ; elle a eu recours à une littérature voltairienne qui ne lui conviendra jamais ; maintes écoles se sont formées avec bruit, qui ont recommandé l’ironie, la raillerie, comme un remède salutaire aux séductions enivrantes du mysticisme. Que de frivoles écrits depuis ce temps-là ! que d’inspirations factices ! Tous ces esprits volontairement légers avaient fini par se tromper eux-mêmes. Voltaire affirme qu’il a trouvé son œuvre la plus cruelle dans les papiers d’un docteur allemand ; eh bien ! on a pu croire un instant qu’ils prenaient la plaisanterie au sérieux et qu’ils couraient en foule à Minden, cherchant la suite de Candide dans les poches du docteur Ralph. Peu à peu cependant le veux péché de l’Allemagne reparaissait, les songes revenaient en foule, non plus ces songes d’or qui erraient dans le ciel lumineux du spiritualisme (ceux-là étaient chassés avec dédain), non, c’étaient les rêves bourgeois du ménage humanitaire. Les bons esprits s’aperçoivent aujourd’hui qu’on se perdait à plaisir dans une fausse route ; le succès de M. Auerbach est un symptôme rassurant. M. Auerbach lui-même avait suivi jadis une voie bien différente ; il avait débuté en 1837 par un roman sur Spinoza qui attestait sans doute un mérite réel, mais les prétentions métaphysiques du livre ne permettaient guère d’entrevoir les heureuses transformations