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et une quatrième qui représentait Ogier ou Olivier[1], ayant à la main un rouleau sur lequel Mabillon a lu :

Audae conjugium tibi do, Rollande, sororis,
Perpetuumque mei socialis foedus amoris.

M. Fauriel a cité, de plus, une charte de l’année 918, où il est fait mention d’une roche Roland, rota Orlanda[2] ; mais il faut prendre garde que les lieux, en grand nombre, qui portent les noms de mont Roland, de roche Roland, et qu’on a souvent ornés d’une statue de chevalier en mémoire de notre paladin, tiennent originairement ces dénominations de la couleur ou de la nature de la pierre ou du sol[3]. Mais revenons à l’histoire de la chevalerie, et passons à la seconde époque celle que M. Delécluze appelle, à bon droit, romanesque, et que dominent les fictions bretonnes du cycle d’Arthur.


V.

Pendant la première époque, qui s’étend au-delà du règne de Philippe-Auguste, pendant cet âge héroïque, cet âge d’or de la chevalerie. M. Delécluze n’a eu presque rien à blâmer en elle, si ce n’est, dans l’ordre littéraire, la fausse chronique de Turpin (qui n’appartient pas, comme il le reconnaît lui-même, à l’inspiration chevaleresque), et, dans l’ordre politique et militaire, quelques abus inévitablement mêlés au bien, comme il arrive de toutes les choses humaines ; mais, à mesure que nous avançons vers la seconde période, c’est-à-dire vers la chevalerie romanesque, qui envahit tout après la mort de saint Louis, à mesure que nous passons des Robert Guiscard, des Godefroi de Bouillon, des Tancrède, aux chevaliers des XIIIe et XIVe siècles, causes héroïques, mais déplorables, de nos grands revers de la Massoure, de Crécy, de Poitiers et d’Azincourt, à mesure que la poésie mâle et sévère des romans des douze pairs fait place au raffinement sentimental et à la mysticité sensuelle des romans du cycle d’Arthur, M. Delécluze ne trouve plus guère que des sujets de censure et de blâme. Cette sévérité est-elle, sur tous les points, équitable et bien fondée ? Examinons.

Quant au rôle qu’a joué la chevalerie réelle depuis saint Louis jusqu’au roi Jean, je conviens que le jugement porté sur elle par M. Delécluze, quoique trop restrictif dans l’éloge, est juste dans la critique. Déjà La Curne de Sainte-Palaye avait consacré tout le cinquième livre

  1. Suivant toutes les traditions romanesques, Aude avait pour frère Olivier, et non Ogier. Voyez, sur cette difficulté, l’opinion de M. Paulin Paris, qui a inséré dans la Bibliothèque de l’École des Chartes (t. III, p. 521) d’ingénieuses recherches sur Ogier-le-Danois.
  2. Histoire de la Poésie provençale, t. II, p. 419.
  3. Voy. le Dictionnaire de Trévoux, article Roland, et Lettre à M. Dusillet sur la statue de Roland, par M. Pallu, bibliothécaire de Dôle ; Dôle, 1846.