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au mariage tel que le christianisme et la courtoisie chevaleresque l’ont constitué parmi nous. D’ailleurs, les maris d’Athènes et de Rome n’ont pas plus échappé que les nôtres aux quolibets, aux scandales et même aux accidens dont M. Delécluze semble croire qu’ils étaient exempts.

Voyez dans Aristophane combien de traits piquans sont décochés à leur adresse. Plaute ne ménage guère plus les maris et le mariage que n’ont fait nos romanciers et nos fabliaux. Si le trio peu moral, il est vrai, de Lancelot, de Genièvre et d’Arthur, ou celui d’Yseult, de Tristan et de son oncle Marc, le triste roi de Cornouailles, vous paraissent et sont en effet d’un pernicieux exemple, l’antiquité ne nous offre-t-elle pas de semblables groupes ? N’a-t-elle pas, elle aussi, une triade mythologique composée de Vénus, de Mars et de Vulcain ? puis d’autres groupes formés de simples mortels, Pâris, Hélène et Ménélas, ou bien Egisthe, Clytemnestre, Agamemnon ? Le ménage du seigneur Jupiter était-il beaucoup plus exemplaire que celui de François Ier ou du comte Almaviva ? Pourquoi donc montrer tant de rigorisme contre cette charmante mythologie moderne, et tant d’indulgence pour la mythologie et la poésie païennes ?

En comparant la sécurité dont jouissait à certains égards le mariage romain (sécurité qui ne s’étendait qu’au mari) avec les dangers dont nos mœurs ont environné le mariage chrétien, M. Delécluze semble en inférer qu’il y aurait de l’avantage à revenir, même dans l’ordre moral, aux traditions de l’antiquité, comme on y est revenu pour les lettres et les beaux-arts. C’est aller trop loin. Assurément M. Delécluze ne recommande cette nouvelle sorte de renaissance que dans un sens très éclectique et dans une mesure sagement restreinte, car il n’ignore pas assurément combien il y avait dans les mœurs antiques de choses à repousser ; mais ce peu qu’il nous conseille de leur reprendre serait beaucoup trop encore. Pour moi, qui n’ai qu’un goût très modéré pour toutes les espèces de renaissance, et qui applique volontiers aux âges écoulés l’arrêt du poète de Mantoue, irremeabilis unda, je crois que dans les questions de morale, tant sociale que privée, nous n’avons rien ou à peu près rien à envier aux sociétés antiques. Le christianisme a creusé entre le monde ancien et le monde moderne un abîme immense et salutaire qu’il faut bien nous garder de vouloir combler. Je ne