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pourrait au contraire leur reprocher, c’est d’avoir été ramassées trop facilement à la surface des faits. Mais si, au lieu d’attaquer le mal dans les manifestations les plus éclatantes et les plus en dehors qu’il produisait, on eût résolu de l’attaquer dans les racines cachées, souterraines, par où il tenait au sol et s’alimentait ; si, ne laissant que de faibles colonnes à la garde du pays central, donnant beaucoup de latitude à l’insurrection et de carrière aux courses de l’émir, on eût porté toutes les forces disponibles vers le Maroc, pour briser la base d’opérations d’Abd-el-Kader, ressaisir les populations algériennes réunies sous son drapeau, frapper à grands coups les hordes marocaines, qui fournissent à notre ennemi le feu et l’eau, la terre, des armes, des hommes, et inspirer à Abderhaman cette crainte salutaire qui, pour lui comme pour presque tous les barbares, est le seul commencement possible de la sagesse ; si entre l’inauguration et l’accomplissement de cette œuvre le succès, qui ne vient qu’à son heure, se fût un peu fait attendre, que la révolte eût entouré la Mitidja, Miliana, Orléansville, d’un cercle serré de populations en armes, et qu’Abd-el-Kader, voulant essayer une grande diversion, fût venu contempler Alger des hauteurs de Mousaïa, quelles clameurs eût poussées la presse parisienne, et avec quelle colère n’eût-elle pas lacéré ce plan de campagne, que cependant beaucoup de bons esprits classent aujourd’hui parmi les meilleurs qu’on pût adopter ! Il est des malheurs qu’il faut prévoir, non-seulement pour les éviter, s’il se peut, mais encore pour les supporter avec calme, s’ils sont inévitables. Tout ce qui vient de se passer en Afrique était dans l’ordre, non des choses nécessaires, mais des choses possibles. Dire qu’avec un certain degré de surveillance, d’activité, d’habileté, qu’avec une tenue parfaite sur la ligne exacte du mieux possible, on ne se fût pas rendu maître des mauvaises chances, nul ne le peut ; mais c’est évidemment une erreur que d’attribuer uniquement aux fautes commises, à l’emploi de tel système, à la présence de telle personne, l’explosion des circonstances actuelles. La tendance à la révolte et aux prises d’armes est et sera pendant long-temps encore chez les Arabes, non l’état exceptionnel, mais la manière d’être habituelle ; non une disposition passagère résultant d’une circonstance déterminée, d’un mécontentement positif, mais une force spontanée, persistante, dont l’immobilité ne s’obtient qu’à l’aide d’une pression continue, et dont la réaction est proportionnelle à la diminution de l’effort exercé pour la comprimer.

Pour les Arabes, l’activité guerrière, c’est la vie. Leur existence est dure et monotone : chez eux, les rapports de famille sont lourds et froids ; le soin de la terre, abandonné aux mercenaires ; les distractions, comme la chasse, les réunions chevaleresques à l’époque des grandes fêtes, ou les folles joies dans quelque coin des villes, rares, dispendieuses et courtes ; les occupations que donne la culture de l’esprit, nulles. On demandait