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que nier et ridiculiser des vérités incontestables, c’est faire preuve de sottise ou de mauvaise foi.

Supposons qu’un homme placé à mille lieues de la France ignore complétement ce qu’était la langue française qui a péri depuis deux mille ans ; cet homme doué d’une intelligence ordinaire, mais renforcée par du bon sens et par de la rectitude dans le jugement, se prend un jour d’une véritable passion pour les monumens dont les imposantes ruines existent en France. Sur ces monumens sont écrites des légendes qui, depuis des siècles, font le désespoir des savans. De nombreux débris toujours ornés d’inscriptions françaises ont été transportés dans son pays ; il les étudie avec amour, copiant tous les signes qui composent ces textes curieux, mais qui restent lettre morte pour lui. Par un bonheur très grand, il y a quelques centaines d’années, une religion nouvelle s’étant implantée sur le sol de la France, le culte ancien en a disparu ; des livres de liturgie relatifs à cette religion et destinés à être compris par tout le monde ont été rédigés à cette époque et recueillis par les voyageurs. Ces livres sont écrits dans les dialectes de la langue parlée par le peuple français en Provence, en Picardie et en Lorraine. La teneur de ces livres liturgiques étant identique, le savant se met à les étudier, interrogeant les différences de ces trois dialectes, qui ont seuls survécu au naufrage de la langue française. Des mots de cette langue, recueillis en passant par des auteurs étrangers à la France, sont cités dans leurs écrits. Le curieux qui, à l’aide d’autres curieux ni plus ni moins intelligens, mais tout aussi patiens et laborieux que lui, a opéré, la plume à la main, le dépouillement des manuscrits patois, provençaux, picards et lorrains qu’il possède, pour en tirer une sorte de lexique qui peut-être doit aider à retrouver la langue française ; ce curieux, dis-je, s’aperçoit avec une joie inexprimable que les mots français qu’il a tirés des auteurs anciens, et dont il avait reçu par eux la signification, se retrouvent, à de très petites modifications près, portant toutes sur la prononciation, dans son lexique des trois patois : première observation qui lui fait comprendre qu’il faut qu’il s’assimile avant tout ces trois patois, pour procéder avec fruit à la recherche du français. S’il réfléchit ensuite que ces patois parlés en trois points du pays français, fort éloignés les uns des autres, ont entre eux des différences d’accent et d’orthographe, tandis qu’ils présentent une identité parfaite de radicaux, l’explorateur zélé des écritures et de la langue françaises conclura, et il aura grandement raison de le faire, que cette langue française qu’il cherche était bien voisine de ces trois patois si voisins, et qu’en étudiant ceux-ci à fond, il se donne la meilleure de toutes les chances pour lire les inscriptions françaises. Ici est le nœud malheureusement. Ces inscriptions sont conçues en caractères différens ; les