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car il avait suivi les leçons de Prodicus[1], celles d’Anaxagore et d’Archelaüs le physicien ; plus tard, après les Nuées sans doute, il reconnut la vanité des théories ontologiques. Diogène Laërce nous l’atteste mais il fallait pourtant s’en être occupé pour le reconnaître. Au reste, on pourrait ici combattre Platon par sa propre autorité ; il fait dire à Socrate dans le Phédon : « Pendant ma jeunesse, il est incroyable quel désir j’avais de connaître cette science qu’on appelle la physique. Je trouvais sublime de savoir la cause de chaque chose, ce qui la fait naître, ce qui la fait mourir, ce qui la fait être, et je me suis souvent tourmenté de mille manières, : cherchant en moi-même si c’est du froid ou du chaud, dans l’état de corruption, comme quelques-uns le prétendent, que se forment les êtres animés… Je réfléchissais aussi à la corruption de toutes ces choses, aux changemens qui surviennent dans les cieux et sur la terre[2]. » Si nous ne nous trompons, de pareilles préoccupations autorisaient suffisamment Aristophane à railler Socrate sur ses désirs de pénétrer l’essence des choses, et de comprendre les mystères de la nature. Le sac de farine que Strepsiade lui donne pour prix de ses leçons est aussi directement contraire à une assertion de ses apologistes : ils assurent que son enseignement était gratuit ; mais sur ce point aussi les témoignages sont bien divisés : Aristoxène le nie d’une manière positive, Sénèque accuse même Socrate d’avoir mendié, et, selon le scholiaste d’Aristide, il y avait chez lui un vase aux provisions et une cruche que ses élèves remplissaient. Cette tradition s’accorde parfaitement, comme on voit, avec le présent de Strepsiade, et il se pourrait que ces rétributions en nature qui restaient toujours un peu bénévoles, et différaient si complètement des sommes énormes que se faisaient payer les sophistes[3] n’eussent pas empêché de considérer ses leçons comme gratuites. Quoi qu’il en soit, Aristophane usait de son droit de poète en s’autorisant d’un bruit populaire, même mensonger, pour livrer au ridicule la vénalité proverbiale des sophistes que son but principal était de combattre. Enfin, et nous concevons qu’une telle injure ait pu inspirer des doutes sur le modèle d’Aristophane, le Socrate des Nuées est formellement accusé d’avoir volé un manteau dans la palestre ; mais évidemment il ne s’agit pas d’un vol réel ; la comédie ne touche pas aux choses qui sont du ressort de la hache, et la loi d’Athènes

  1. Selon l’Axiochus ; s’il n’est pas de Platon, il est du philosophe Eschine, qui, était encore mieux instruit de tout ce qui regardait l’histoire de Socrate ; voyez Suidas, et Ménage, Observations, p. 104.
  2. Œuvres complètes de Platon, t. I, p. 213, trad. de M. Cousin.
  3. Nuées, v 98 ; Eupolis, les Chèvres, dans Bergk, Commentationum de reliquiis comoediœ atticoe antiquœ l. I, p. 333 ; voyez Welcker, dans le Rheinisches Museum, t. I, p. 22 et suiv.