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punissait ce crime de la peine de mort. C’est une allusion ou à quelque aventure d’enfance dont l’homme fait ne pouvait être sérieusement responsable, ou à une de ces distractions singulières si habituelles à Socrate, et les spectateurs, qui entendaient vanter sa moralité tous les jours, s’amusaient d’autant plus de cette anecdote, que, par un motif encore inexpliqué, Chéréphon, celui de ses disciples qui joue un rôle dans les Nuées, était nommé par le comique le voleur. Dans tous les cas, l’historiette se rapporte certainement au philosophe Socrate, et elle avait une sorte de base bien connue du peuple, puisqu’Aristophane y revient à plusieurs reprises, et qu’Amipsias y fait aussi dans son Connus une allusion outrageante.

Strepsiade, qui semble représenter le peuple avare et grossier de la campagne, avait, grace à son ignorance, conservé la vie sale et mal peignée des premiers habitans de l’Attique. Le bruit de la logique merveilleuse des sophistes arrive jusqu’à lui, et il quitte ses abeilles, ses moutons, son marc d’olives, pour leur demander un moyen honnête de payer ses dettes sans se mettre en dépense ; son intention est de mener son fils au pensoir de ces esprits subtils où l’on apprend pour de l’argent des raisonnemens qui, en dépit de la justice des dieux et des hommes, gagnent les plus mauvaises causes aussi sûrement que les bonnes. Au bruit qu’il fait à la porte de Socrate, un de ses disciples accourt et lui enjoint brutalement de ne pas empêcher les précieuses découvertes de son maître. Pour donner un but pratique aux mathématiques, celui-ci s’occupait constamment des problèmes les plus utiles. La veille encore, il a mesuré le rapport exact qui existe entre le saut d’une puce et la longueur de ses pattes, et il a reconnu, par la forme des choses, que le bourdonnement des cousins sortait, non de leur bouche, mais de leur derrière. On voit enfin Socrate, et, comme il appartient à un songe-creux que ses rêveries avaient fait nommer le promeneur dans l’air, il est juché dans un panier entre le ciel et la terre. Pourtant il s’abaisse jusqu’au bonhomme et lui révèle tout le fin de sa doctrine. Il n’y a pas d’autres dieux que les nuées ; ce sont elles qui versent la pluie dans les champs arides de l’Attique, qui remplissent la tête des sophistes et qui font le tonnerre avec de l’air comprimé en roulant les unes sur les autres. Puis il passe à la discussion du rhythme et à la distinction des genres ; mais en fait de mesure Strepsiade ne connaît que celle de la farine, et n’a nul besoin de la grammaire pour distinguer les mâles des femelles. Fatigué d’une intelligence si peu ouverte à ses subtilités, Socrate congédie le campagnard et procède à la dépravation de son fils Phidippide. Dans la pensée du poète, ce fils représente la jeunesse d’Athènes, si folle de plaisir et si disposée à renoncer à la vieille sagesse et aux croyances de ses pères ; mais d’évidentes personnalités contre