Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/354

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

été croissant depuis 1839, parce qu’on a toujours mieux vu combien les églises rivales étaient insuffisantes pour élever la jeunesse avec leurs seules ressources ; mais cette intervention salutaire n’avait jamais été si solennellement proclamée qu’aujourd’hui. Sir John Russell en a fait le mot le plus essentiel de sa circulaire électorale, et, une fois élu, il s’est encore expliqué sur ce thème favori, auquel l’assemblée le conviait ; il a promis de présenter au parlement des plans généraux pour remédier à « cette situation lamentable de l’éducation publique ; » il a surtout promis qu’il n’y aurait pas dans la loi d’oppression des consciences, c’est-à-dire point de réserve établie au bénéfice d’une église dominante. « Nos pères, a-t-il dit, ont combattu pour la liberté de conscience, et versé leur sang pour l’obtenir ; ce n’est point aux jours d’à présent qu’il faut songer à la restreindre. »

En même temps que le chef du cabinet donne à la suprématie anglicane cet avis menaçant, le journal du parti déclare que la présidence du bureau d’éducation, attachée, comme on sait, à la présidence du conseil, équivaut dorénavant à « un ministère spécial de l’instruction publique. » Un Anglais d’il y a trente ans aurait si fort détesté la chose, qu’il n’aurait pas même compris le mot. On se félicite au contraire de voir « cet important et nouveau ministère » encore une fois confié au respectable marquis de Lansdowne, qui en est comme le premier créateur. Enfin nous omettrions un trait curieux de cette situation originale que l’avènement des whigs a tout aussitôt constituée, si nus ne disions rien d’un livre dont la presse libérale a fait une œuvre d’à-propos. Le docteur Hook, vicaire de Leeds, un high churchman bien connu, vient de publier des pages très vives sur l’instruction du peuple, et, conservant la rigidité de ses opinions religieuses, il invite cependant l’état à s’emparer de l’éducation séculière pour la mettre à l’usage de tout le monde ; il ose plus encore, il nie toute obligation particulière de l’état vis-à-vis de l’église officielle. Cet ami éprouvé de la haute église ne craint pas d’avouer qu’il ne comprend point qu’elle jouisse par privilège d’une aide pécuniaire levée sur la fortune publique ; il professe expressément « que les taxes payées par des contribuables de toutes les religions ne peuvent être en bonne justice dépensées pour le maintien exclusif d’une seule. » Le Chronicle s’est empressé de recueillir une maxime qui s’applique si directement à l’Irlande. Il serait en vérité remarquable que la réforme irlandaise commençât par une loi sur l’éducation nationale en Angleterre, et certainement il ne serait pas impossible que cette grande loi d’ordre social se trouvât l’année prochaine discutée tout à la fois en Angleterre, en France et en Belgique. Qu’on n’oublie pas que la Turquie a d’hier aussi son ministère de l’instruction, et qu’on se demande s’il n’y a pas dans tout cela comme le gage d’un avenir nouveau.

Entièrement préoccupé de ces graves nécessités de la politique intérieure, le gouvernement whig n’a pas annoncé de programme au sujet du dehors. C’est chose moins essentielle en Angleterre que chez nous. Les assurances pacifiques données par lord John Russell aux électeurs de Londres doivent pourtant compter comme une sincère garantie des intentions générales du ministère. On peut en effet supposer que lord Palmerston a fait provision de longanimité pour expier ses impatiences d’autrefois, et qu’il saura vivre en meilleur voisinage. Nous ne croyons donc pas que notre cabinet, quoique naturellement attaché aux