indifférent ; il faut non pas embrasser un parti (car on peut avoir l’espérance de demeurer en dehors des partis), mais du moins tenir son poste et déclarer qui l’on est sans équivoque et sans détour.
C’est à la mort de Steffens que M. de Schelling a découvert ainsi ses plus profonds sentimens. Henri Steffens était son élève, son ami, son collègue ; le maître et le disciple avaient vécu dans un continuel commerce, dans un mutuel échange d’idées, le premier s’instruisant auprès du second, et sachant apprendre, comme il a toujours appris de ceux qui ont grandi à son école. Enlevé l’année dernière aux sciences et à la philosophie, Steffens reçut alors un hommage digne de ses mérites. M. de Schelling, à l’ouverture de son cours d’été, consacra sa première leçon au souvenir du compagnon de ses études, et voici comment il entendit l’honorer. « Je puis dire plus que personne avec le poète romain Il est mort pleuré de beaucoup qui étaient gens de bien, et nul pourtant ne l’a pleuré comme moi ; mais il ne sied pas de manifester ou de provoquer une douleur qui ne serait point assez mâle. Si je suis capable de payer un juste tribut à la mémoire de l’ami que j’ai perdu, si je veux le faire d’une manière qui convienne à son esprit, je dois rattacher à son nom de libres paroles sorties de mon cœur, pour aller autant que possible éclairer et guider ceux qui s’appliquent à résoudre les graves problèmes d’un temps de perplexités. »
Ces « libres paroles » servent d’avant-propos aux œuvres posthumes de Steffens qu’on a récemment publiées ; elles ont tout de suite excité plus d’attention que les fragmens dont elles sont la préface. Ceux-ci néanmoins ne manquent pas d’intérêt, et l’on peut y prendre une idée des travaux habituels de l’Académie des Sciences de Berlin, puisqu’ils ont été composés pour lui être lus. Nous signalons un morceau philosophique sur Pascal, une biographie de Jordano Bruno, une dissertation curieuse sur l’Étude scientifique de la psychologie, et nous nous hâtons d’arriver aux réflexions de M. de Schelling.
Steffens était un esprit érudit et chercheur, occupé volontiers de beaucoup d’objets. Malgré la diversité de ses travaux, il y a cependant comme une double direction dans sa vie intellectuelle : il a été un théologien philosophe (d’ordinaire en Allemagne les deux ne font qu’un) ; il a pratiqué la minéralogie et la géologie, il a été un philosophe naturaliste. M. de Schelling rappelle avec complaisance cette double vocation, et c’est pour lui la preuve de cet enchaînement qu’il a toujours professé entre la philosophie de la nature et la philosophie de la religion. Il cite cette sentence poétique, première devise de tout son système : « Le temple qui s’élève jusqu’au trône de la Divinité repose doucement sur la nature. » Il donne en passant quelques regrets, peut-être assez légitimes, à cette époque d’enthousiasme où la physique ne redoutait point si fort qu’aujourd’hui le voisinage et le contact de la métaphysique ; il déplore que les sciences naturelles affectent si durement de repousser toute philosophie ; plus l’esprit philosophique les pénètre, plus droit elles mènent à Dieu, mais quel Dieu ? C’est ici qu’il faut voir le premier père du panthéisme allemand désavouer son couvre, tant il a peur de la reconnaître dans les fruits qu’elle a portés, et cependant on ne se change pas soi-même, et il n’est point de converti qui ne garde encore du vieil homme. « Le dernier mot de la philosophie de la nature, dit M. de Schelling, c’est l’immanence des choses en Dieu : dans ce sens-là, elle est un panthéisme, mais un panthéisme inoffensif et innocent, s’il demeure purement contemplatif,