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langue en supposant que le mot Égypte désignait ici le Nil, et qu’il s’agissait de la distance de l’île, non au rivage le plus proche, mais à l’embouchure du fleuve. Le Nil en effet s’appelle Aiguptos dans Homère, le mot Neilos ne paraît que dans Hésiode ; mais, M. Letronne ayant fait voir que toutes les fois que les anciens se servent de l’expression Aiguptos pour désigner le Nil et non le pays d’Égypte, ils y ajoutent le mot fleuve, il a été prouvé que c’était bien de la terre d’Égypte et nullement de L’embouchure du Nil que l’île de Pharos était éloignée d’une journée d’après Homère. Ceux qui voulaient à tout prix faire accorder la nature et le poète, qu’on est en effet assez accoutumé à voir d’intelligence avec elle, ne se sont pas tenus pour battus, et l’on a prêté à Homère l’idée beaucoup trop ingénieuse d’avoir voulu peindre, non ce qui était de son temps, mais ce qu’il supposait avoir existé plus anciennement, pour accommoder sa description à l’âge des événemens racontés dans son poème. Rien, il faut le reconnaître, n’est moins dans le génie de l’épopée primitive qu’un pareil calcul. Le chanteur ou les chanteurs à qui nous devons l’Odyssée ne faisaient ni de la couleur historique, ni de la couleur locale, et ne s’inquiétaient pas plus d’un anachronisme que les peintres du XVe siècle. Virgile, poète d’une époque savante, le siècle d’Auguste, disciple d’une école savante, l’école alexandrine, Virgile ne se fait point scrupule de mettre dans la bouche d’Énée une description de la ville d’Agrigente étalant ses immenses murailles, telle que lui-même l’avait contemplée sans doute quand il faisait son voyage de Grèce, mais comme Énée eût eu quelque peine à la peindre plusieurs siècles avant qu’elle fût fondée. Il y avait une explication plus simple et plus vraie à donner de l’inexactitude d’Homère : c’était de n’en point donner du tout. Homère, peintre si fidèle des lieux qu’il connaissait, s’est trompé sur la situation de l’île de Pharos, parce qu’il ne connaissait point l’Égypte. Il a placé cette île à une journée du rivage qu’elle touche, comme Shakespeare a mis un port de mer en Bohême, et comme le chroniqueur Glaber a fait rouler des glaçons par le Nil ; mais il y a des savans qui ne consentiront jamais à dire d’un auteur favori ce qu’ils ne permettent à personne de dire d’eux-mêmes : Il s’est trompé.

L’Égypte est pour Homère un pays merveilleux et inconnu, comme l’Inde le fut pour les Grecs et pour le moyen-âge. Le passage de l’Iliade sur Thèbes au cent portes, par chacune desquelles sortaient deux cents chars, paraît interpolé. L’Égypte de l’Odyssée n’est pas moins fantastique. Elle est placée au-delà d’une mer que les oiseaux ne peuvent franchir en une année. Les migrations des oiseaux qu’on ne voyait revenir qu’au bout d’un an ont peut-être donné lieu à cette fable par une exagération qui aurait confondu le terme de leur passage avec l’époque de leur retour. Du reste, si l’on admettait cette distance comme on a