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postes lucratifs ou de riches bénéfices. Lui-même reçut gratuitement la charge d’intendant du duc d’Anjou, dont il tira 40,000 livres, celle de secrétaire des commandemens de la reine à venir (le jeune roi n’était pas encore marié) ; fonction honorifique qu’un financier lui acheta 500,000 livres, plus 20,000 livres de pot-de-vin à Mme Colbert. On sait que Mazarin, dont la rapacité était scandaleuse, entreprenait à son compte la fourniture des vivres de l’armée. Quoique blâmant en principe ce genre de spéculation, Colbert en était l’agent nécessaire, et il y dut trouver personnellement des bénéfices considérables. Lorsqu’à son tour il tint dans sa main la fortune de la France, il n’abusa pas trop de sa position ; on le trouve modéré lorsqu’on le juge par comparaison avec ses devanciers. Il résulte du compte établi par M. Clément que ses traitemens avoués ne s’élevaient pas à plus de 70,000 livres ; mais ce qu’on a conservé du registre des ordonnances de comptant contient un e note ainsi conçue : « Au sieur Colbert, pour gratification, en considération de ses services, et pour lui donner moyen de me les continuer, 400,000 livres. » Il paraît démontré en outre que le ministre recevait des dons annuels de la part des états provinciaux. Bref, après avoir établi richement six fils et trois filles, Colbert laissa une fortune évaluée en capital à 10 millions de livres, environ 30 millions de notre temps. Je me hâte d’ajouter que jamais homme d’état ne légitima sa fortune par une plus grande application à ses devoirs. Pendant les vingt-deux ans de son ministère, il travailla régulièrement seize heures par jour !

Les attributions de Colbert empiéteraient actuellement sur tous les ministères. Le département des finances, dans ses diverses dépendances, formait le fond de sa charge. Intendant particulier du roi, il devait administrer la fortune de son maître, et pourvoir aux dépenses qui constituent aujourd’hui la liste civile. Contrôleur-général des finances de l’état, la répartition et le recouvrement des impôts, les emprunts, les baux et les marchés, les monnaies, le paiement des rentes, des pensions et des services actifs, étaient de son ressort. Le chancelier de France était alors le ministre en titre de la justice ; néanmoins Colbert, homme du roi et jaloux de tout rapporter au roi, dirigeait les grands travaux de législation. La forte organisation du clergé dispensait d’un ministre des cultes ; cependant la police extérieure de l’église, ce qu’on appelait alors les affaires générales du clergé, revenait à Colbert. Dans le ressort de l’instruction publique, le sacerdoce et l’université se disputaient, comme on sait, l’éducation de la jeunesse : le gouvernement surveillait la lutte sans intervenir ; mais la partie élevée de ce ministère, l’instruction supérieure, les académies, les bibliothèques, les encouragemens aux savans et aux littérateurs, étaient le beau côté des emplois de Colbert, et, pour ainsi dire, la récréation de ce grand homme.