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C’est à peine si l’on peut s’arrêter au premier système, à celui de la théocratie guelfe. Les papes, dit-on, étaient tout puissans en Europe ; ils pouvaient donc fonder la nationalité de l’Italie. On ne voit pas que la dictature des pontifes était européenne précisément parce qu’elle n’était d’aucune nation. Une théocratie nationale eût été une absurdité au point de vue chrétien, et, en ressuscitant le judaïsme, elle aurait fait de l’Italie, l’ennemie naturelle de tous les peuples. Comment les papes auraient-ils fondé la nationalité italienne ? Par les républiques ? Entre eux et les républiques, il n’y eut qu’une coalition extérieure, transitoire, momentanée, pour combattre l’empire. Aux yeux de l’église, les républiques ne furent en réalité, que des villes libres de l’empire, en d’autres termes l’empire lui-même sous une forme tantôt faible, tantôt factieuse et rebelle. Une papauté républicaine eût dû organiser d’avance la république à Rome pour l’établir dans toutes les villes, et les papes, au contraire, furent les ennemis implacables de la république romaine. Une papauté républicaine eût dû porter la république en Europe pour l’assurer en Italie, et le saint-siège sacrait l’empereur, il sanctifiait la royauté germanique. La principauté se développait dans les républiques italiennes ; les papes l’ont-ils empêchée de surgir ? Nullement : ils furent les alliés des familles guelfes qui s’élevaient, ils furent les ennemis des républiques gibelines qui restaient libres, et, si dans les momens de détresse ils s’appuyaient sur les communes, dans leur force il les menacèrent sans cesse, ils les écrasèrent au centre de l’Italie : ils n’ont jamais cessé de maintenir la servitude féodale dans le royaume de Naples. Jamais la république ne fut la pensée des pontifes. Les papes pouvaient-ils au moins pacifier la péninsule, resserrer les ligues, donner une sorte d’unité fédérale aux républiques et aux seigneurs de l’Italie ? Sans doute, au fort des luttes guelfes et gibelines la papauté intervint ; souvent les villes en guerre virent arriver les légats apostoliques pour pacifier les partis, pour ramener les bannis dans les villes, pour prêcher la croisade contre les tyrans ; cependant, loin de concilier les villes, les papes les divisaient : c’est la papauté qui créait les guelfes. Entre les guelfes et les gibelins, les papes étaient juges et parties ; ils n’attaquaient que les tyrannies gibelines ; les vicaires de l’église imitaient au fond ceux de l’empire ; les podestats guelfes étaient des tyrans, comme les podestats des villes gibelines, et la croisade même contre les gibelins était commandée par les tyrans du parti opposé. Impuissans, comme alliés des républiques, à constituer la nationalité italienne, ils le furent encore plus comme seigneurs. Le chef de la chrétienté au cœur du moyen-âge, ne pouvait pas tenir tête au sénateur, au préfet de Rome, à la plèbe ; à chaque instant, on l’expulsait : Grégoire VII lui-même mourait en exil. Princes électifs, sans postérité, sans ancêtres, les papes furent le jouet des familles ; les fiefs et