Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 15.djvu/688

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le bruit en effet se répand et chaque jour s’accrédite q cette noblesse, épuisée par l’Autriche, qui lui a tiré le plus de sang qu’elle a pu, veut à présent donner son ame à la Russie, et jouir enfin d’une vengeance, dût-elle s’y ensevelir. La propagande moscovite n’a jamais été plus insinuante ni mieux accueillie. Si nous en croyons les renseignemens qui nous arrivent de toutes parts, il s’opère dans : la pensée publique une réaction dont rien ne saurait rendre la vivacité. On invoque le nom du tzar en haine du nom de M. de Metternich, et telle est l’horreur soulevée par l’un, qu’on en appelle à la clémence de l’autre. Nous ne dirons pas : La Pologne se fait, russe ! un peuple n’abdique point ainsi tout entier ; pareille abdication serait toujours révocable. Nous dirons seulement : Les théories insidieuses, les trames secrètes ourdies depuis si long-temps par le cabinet de Pétersbourg au sein des nations slaves, n’ont jamais été si près d’aboutir. Pour ramener sous une même influence politique ces familles issues d’une même souche, pour réconcilier ces frères ennemis ; sait-on bien ce qu’il manquait ? L’Autriche aurait-elle fourni l’occasion ? Les massacres de Tarnow seraient alors cruellement expiés.

On annonce que le roi de Prusse va rencontrer ces jours-ci le prince de Metternich au château de Koenigswarth, et la conférence doit, assure-t-on rouler sur les affaires de Pologne : il n’y a plus maintenant d’autre affaire en Pologne que l’agitation sourdement entretenue par les Russes au détriment de la domination allemand. Si l’on remue encore à Posen et en Gallicie, c’est le tzar qui le veut bien, parce qu’il trouve son compte, sous le coup de la terreur qui règne partout, si l’on se plaint encore de l’hypocrisie prussienne et de la barbarie des Autrichiens, c’est qu’on se laisse gagner à la pensée du prochain avènement d’un despotisme plus national, c’est que les esprits, adroitement travaillés, se sont jetés, en désespoir de cause, sur cette suprême espérance. La Prusse et l’Autriche ne doivent pas s’y tromper ; elles savent qui les menace ; malheureusement elles ne savent pas comment se couvrir. Il est de la politique moscovite de pouvoir à la fois frapper et se garder en frappant. Karamzin l’a dit avec le sens et la gravité de l’histoire : « La Russie conquiert et ne guerroie pas. Toujours sur la défensive, elle ne se fie jamais à ceux dont les intérêts ne coïncident pas avec les siens, et ne perd aucun moyen de nuire à ses ennemis sans rompre les traités. »

Il ne s’agit donc point, pour le cabinet russe, de briser demain la sainte-alliance de 1815 ; il n’a pas le goût de ces expédiens trop éclatans ; il lui suffit de fomenter avec son invincible patience les germes de discorde qu’il a semés à travers les populations, hétérogènes de l’Allemagne orientale. Magnifique représentant d’une race partout ailleurs sujette de l’étranger, le tzar lui tend ses aigles comme un signe de ralliement.