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du gouvernement métropolitain a été beaucoup plus activement dirigée vers ce pays, depuis les troubles dont il a été le théâtre. On a donné satisfaction à beaucoup de griefs sérieux : de fortes sommes ont été consacrées aux travaux publics, l’union des deux provinces a été accomplie, et tout le monde convient, — malgré quelques plaintes individuelles, — qu’il y a une grande amélioration dans la manière dont se répartit le patronage provincial. Cette dernière question a toujours été et sera toujours une des plus importantes pour le Canada. Et certainement il est juste que tous les emplois de la colonie, — sauf celui du gouverneur et ceux de son état-major, — soient exclusivement réservés aux habitans de la province ; le partage doit en être fait parmi eux, entre les deux races, dans la plus loyale et la plus exacte proportion que les circonstances autorisent[1]. »

Ainsi donc, de l’aveu même des Anglais les moins suspects, le gouvernement colonial engendrait de grands abus. Il eût été bon d’y remédier spontanément, et on ne l’a fait qu’après avoir appris, par expérience, à quels dangers on s’exposait en continuant à mépriser les réclamations de la province conquise. Nous n’inventons pas, nous résumons, et l’on peut aisément s’en assurer.

Autre question. Depuis la révolte de 1837, qu’a-t-il été changé d’essentiel dans la constitution canadienne ? Nous voyons bien les échafauds se dresser j nous assistons au supplice du Polonais Von Schoultz, dont le courage militaire fut admiré de ses ennemis eux-mêmes ; nous apprenons que, par groupes de six et de trois, ceux qu’on appelle les brigands de Prescott et les assassins du docteur Hume montent ensemble à la potence. On nous raconte la mort de l’Américain Lount, forgeron de son métier, mais devenu membre de l’assemblée provinciale, où il exerçait, par sa fortune et ses opinions, une véritable autorité. Tout son crime était d’avoir pris les armes et participé à l’attaque de Toronto. Sa fille, remarquablement belle, trouva moyen de s’introduire, avec la foule, dans l’enceinte où il allait être jugé. « Elle écouta, l’œil fixe et le front pâle, les terribles paroles qui lui enlevaient tout espoir de conserver son père. Pendant quelques minutes, la voix qui les prononçait demeura pour elle un vain son, et frappait ses oreilles sans rien transmettre à son intelligence ; mais enfin la réalité terrible se fit graduellement jour et s’imprima violemment au fond de ce cœur brisé. On la transporta chez elle à demi morte, et le lendemain au cimetière. Sur l’échafaud, son père se plaignit de ne pas la voir ; il aurait voulu lui dire un dernier adieu. Personne n’osa lui apprendre combien ils étaient près de se retrouver. »

Voilà les représailles et la vengeance. Où donc est la clémence, où

  1. Hochelaga, tome I, page 303.