anecdote du même livre, celle de cet Anglais au cou raide, installé, lorgnette en main, sur le devant d’une loge, au théâtre de New-York, et qui, voyant arriver une dame, ne songea point à lui offrir sa place. Quelques observations furent échangées à ce propos entre lui et le cavalier de cette dame; elles attirèrent l’attention du public, et, lorsqu’on sut de quoi il s’agissait, douze à quinze citoyens accoururent, enlevèrent, sans lui faire aucun mal, l’Anglais qui se débattait entre leurs mains, et le conduisirent à la porte du spectacle; là, son chapeau, ses gants, sa lorgnette, lui furent ponctuellement restitués; on glissa même dans sa main le prix de sa place, et, sans autre injure, on ferma sur lui les portes du théâtre. Cette application de la loi de Lynch est hautement approuvée, il faut le dire, par notre impartial voyageur. Que dirait-il s’il la voyait pratiquer en grand contre l’établissement des Anglais dans le nord de l’Amérique?
Malgré lui, cette pensée le préoccupe. On voit qu’il a débattu, soit avec ses compatriotes, soit avec les Américains, et surtout avec lui-même, les chances d’une lutte, et qu’il les redoute pour son pays. « De la possession de Québec et du Canada, dit-il dans sa conclusion, dépend la conservation du territoire immense qui entoure la baie d’Hudson : les provinces maritimes, le New-Brunswick, la Nouvelle-Ecosse et les îles, seront probablement les dernières citadelles du pouvoir anglais dans ces colonies occidentales. Elles ne courent aucun danger tant que nous conserverons notre suprématie navale. » Et même en ceci nous croyons qu’il se trompe. Les chances guerrières ne sont pas les seules dont il faille tenir compte. La paix a ses dangers, son influence décentralisatrice. Pour n’en citer qu’un exemple, plus frappant à nos yeux parce qu’il vient de se produire, voyez ce qui se passe depuis que l’Angleterre, enfin édifiée sur les avantages du libre échange, a cm devoir restreindre la protection que ses tarifs accordaient aux produits coloniaux. L’assemblée législative du Canada s’est émue : elle a réclamé, supplié, menacé même, insinuant que, si la protection douanière était retirée aux colons, « ils seraient naturellement amenés à douter qu’il y eût pour eux un grand avantage à demeurer partie intégrante de l’empire britannique. » Les journaux canadiens, brodant sur ce texte, y ont ajouté des commentaires encore plus audacieux. « Le temps n’est plus, disent-ils, où une nation peut tenir dans l’esclavage des possessions lointaines par le simple charme du moi fidélité (loyalty)... Or, la Grande-Bretagne nous traite en esclaves; elle nous retire les avantages que nous lui devions, et ne nous laisse que les charges dont ils étaient la compensation naturelle. Elle prescrit à notre marine des lois qui ont une influence fatale sur notre commerce intérieur : elle a refusé de sanctionner, dans l’acte de navigation, un changement réclamé à l’unanimité par les deux branches de notre législature... En même temps elle