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venait de conquérir ; mais c’était un grand homme, supérieur dans l’art de gouverner autant qu’entreprenant et invincible à la guerre, et, quand en lui l’humanité se taisait, la politique tendait à le rendre bienveillant et juste. Auprès de lui, Pizarre et Almagro furent des chefs de brigands. Le Pérou étant plus éloigné que le Mexique, la cupidité des Européens y fut plus difficile à réprimer. Le gouvernement espagnol, qui eut toujours l’intention de protéger les Indiens et qui fit des centaines d’ordonnances dans ce but, avait déjà assez de peine à se faire obéir tant bien que mal dans les provinces mexicaines ; il n’eut jamais le bras assez long pour faire respecter ses ordres jusque dans les montagnes escarpées auxquelles Lima est adossé, et où une distance de cent lieues équivaut au décuple par l’incroyable difficulté des communications. Le travail des mines, qui était libre au Mexique, a été forcé au Pérou jusqu’au moment de l’indépendance, en vertu de l’institution de la mita, sorte de conscription ou de servitude. Tous les genres d’oppression furent pratiqués contre les anciens sujets des incas, mais avec une cruauté particulière dans les mines. C’est ainsi que la population péruvienne a été décimée au point que les bras manquent aujourd’hui pour tous les genres de travail, tandis que celle du Mexique est demeurée considérable. Excédés de tant de tyrannie, les indigènes firent des révoltes dont l’histoire du Mexique n’offre pas un seul exemple, mais qui, au Pérou, allèrent jusqu’à compromettre la domination espagnole, en 1780, lorsque le cacique Tupac Amaru, se présentant comme l’héritier des incas, appela ses compatriotes à la vengeance[1].

Regardant l’or et l’argent comme la cause de leurs maux, les Indiens avaient commencé, dès l’époque de la conquête, par enfouir ou jeter dans les lacs ce qu’ils avaient de l’un ou l’autre métal ; ainsi disparut une chaîne d’or, célèbre dans les annales de ce temps-là, qui avait été fabriquée pour la naissance de l’inca Huescar. La conquête consommée, lorsqu’ils découvraient un filon, ils en gardaient pour eux la connaissance. On dit qu’ils léguaient leur secret à leurs enfans, afin qu’ils allassent de temps en temps puiser dans la mine quelques morceaux de choix, et puis qu’un jour, si de meilleurs temps venaient pour les peaux-rouges, leur postérité s’y enrichît librement. Lorsqu’ils avaient quelques obligations à un blanc, ils lui livraient quelques charges du minerai le plus pur sans lui indiquer la mine. Le docteur Tschudi rapporte beaucoup d’histoires qu’il a recueillies sur ces secrets si bien gardés par les indigènes. La plupart sont lugubres et sanglantes.

  1. On a vu dans le XVIIIe siècle des désordres à Mexico : il arriva même une fois que le palais du vice-roi fut brillé par les populations indiennes ; mais c’étaient des émeutes comme on peut en voir partout dans les momens de disette, et non point des insurrections contre l’autorité espagnole.