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telle hauteur au-dessus de la mer, que l’élévation apparente de la montagne est de 945 mètres seulement. On y exploite, à différens étages, trente-deux filons qui coupent la masse rocheuse, sans parler de moindres veines métalliques. Elle est entourée au loin d’un pays désert, horrible, sans végétation, sans culture. Il se passe peu de jours de l’année sans qu’au fond du bassin même on n’ait de la neige, de la grêle ou de la pluie. Un Indien, conducteur de lamas, Diego Hualca, qui avait travaillé aux mines de Porco, qu’on exploitait déjà du temps des incas, y découvrit le minerai d’argent en 1545. Dès le début, les profits furent tels que la population accourut de toutes parts dans ces tristes régions, et une ville de deux lieues de tour y fut construite comme par enchantement : c’est celle de Potosi, qui, dès la fin du XVIe siècle, était aussi vaste qu’on la voit aujourd’hui, et qui compta, dit-on, jusqu’à 160,000 habitans. Pendant les guerres civiles, elle était tombée à 7,000. Il y a quelques années déjà, après le rétablissement de la paix, elle s’était relevée à 13,000.

A l’origine, le minerai extrait se traitait, à la façon des Indiens, dans- de petits fourneaux en terre glaise appelée huayras, où on le mêlait à de la galène ou minerai de plomb, et où le feu agissait excité par un courant d’air naturel. On perdait ainsi une grande quantité de métal, et on se procurait très péniblement du combustible, on remplaçait le bois par des broussailles ; mais on ne s’attaquait qu’aux minerais les plus riches, qui, dans cette mine bien plus encore que dans les autres exploitations du Nouveau-Monde, étaient les plus voisins de la surface. Tout près du jour on trouvait des masses de minerai dont on retirait quelquefois, à ce qu’on assure, le tiers de leur poids en lingots. L’exploitation avait une activité extrême. Le nombre des fourneaux qui, chaque soir, illuminaient les flancs de la montagne était d’au moins 6,000. C’était un spectacle inoui pour les nouveaux venus, auxquels tout semblait tenir de la féerie au Potosi, et les récits du temps en parlent avec enthousiasme. L’exploitation allait languir faute de combustible, lorsqu’un Espagnol importa au Pérou le procédé de l’amalgamation dont Médina avait enrichi la métallurgie mexicaine : c’était en 1571. Dès-lors l’avidité des aventuriers, qui de la Péninsule se précipitaient sur le Nouveau-Monde, put amplement se satisfaire, et de puissans moyens furent employés pour organiser le travail sur une grande échelle. Par un rare bonheur, le sel nécessaire à l’amalgamation se rencontra dans le voisinage. On manquait d’eau motrice pour broyer le minerai et pour les lavages ; on leva cet obstacle par des constructions hardies : des barrages en pierre furent jetés au débouché des vallons creux de la Cordillère de manière à y retenir la fonte des neiges et les eaux pluviales qu’on lâchait ensuite selon les besoins. Dès 1578, le nombre de ces réservoirs était d’au moins dix-huit, et ils avaient coûté, au plus bas mot, 22