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de Bernard et du marquis, révèlent chez M. Sandeau, un véritable talent pour la comédie. L’abondance de la pensée, la sobriété de l’expression, donnent aux personnages une vie, un naturel, qui n’appartiennent qu’aux maître du genre. Mademoiselle de la Seiglière est à coup sûr une des lectures les plus agréables qui se puissent rencontrer, dont le mouvement et la variété ne laissent rien à désirer. On ne sent nulle part l’effort ou l’inquiétude. L’auteur semble si convaincu de ce qu’il raconte, il croit si bien au caractère, aux paroles de ses personnages, que sa foi entraîne la nôtre, et nous écoutons le amrquis et sa fille, le vieux Stamply, Bernard et Mme de Vaubert, comme si nous les avions près de nous. C’est pourquoi Mademoiselle de la Seiglière me paraît supérieure à tous les romans de M. Sandeau par la réalité, par le mouvement et la vie.

Catherine, publiée l’année dernière, sans réunir toutes les qualités qui recommandent Mademoiselle de la Seiglière, est cependant un tableau de genre digne de la plus sérieuse attention. Catherine, la petite fée, comme l’appelle l’auteur, Roger, qui s’éprend pour elle d’un amour sincère, et qui cependant n’a pas le courage de lui donner son nom, François Paty, le digne curé de village, Claude, l’amant silencieux de Catherine, sont autant de personnages dessiné avec une vérité, une franchise, qui rappellent en maint endroit la manière de l’école flamande. Il n’y a pas jusqu’à la vieille Marthe qui n’intéresse et n’ajoute à l’effet du tableau. Quoique l’attendrissement domine dans la composition de Catherine, il y a cependant plus d’une scène qui touche à la bonne comédie. Les esprits chagrins pourront reprocher aux paysans de M. Sandeau leur innocence toute patriarcale, et lui demander comment il n’a pas trouvé moyen de leur donner un seul des vices qui affligent les villes. Quant à moi, je l’avoue, je ne songe pas à lui adresser ce reproche, car la lecture de Catherine ne m’a laissée qu’une impression de plaisir. J’ai suivi avec tant d’intérêt les amours de Roger et de la petite fée ; j’ai assisté avec tant de curiosité au dîner de monseigneur chez François Paty, que je ne veux pas chicaner l’auteur sur la manière dont il a su m’attacher. Je ne suis pas loin de croire que les paysans tels qu’il nous les peint se rencontrent rarement. Est-ce là pourtant une raison suffisante pour les déclarer impossibles de tout point, et les renvoyer au pays des chimères ? Tel n’est pas mon avis. Claude me plaît d’ailleurs par sa candeur et son dévouement. Quand à la petite fée, je prends parti pour elle, et je n’hésite pas à me proclamer son champion. Il est impossible de réunir plus de grace et de finesse, plus de malice et de pureté ; elle mérite vraiment son nom. Elle comprend à merveille toute la faiblesse de Roger ; malgré la vivacité de son affection, elle devine que son amant ne renoncerait pas sans regret à l’approbation du monde ; et, pour s’épargner un repentir inutile, elle le dégage de ses