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sermens. La petite fée ne pouvait manquer de clairvoyance ; elle préfère à bon droit le dévouement de Claude à la passion exaltée de Roger. Elle se montre aussi sage que bonne, et ce dénoûment fait honneur à la sagacité de M. Sandeau.

Outre les romans dont je viens de parler, l’auteur de Marianna a écrit plusieurs nouvelles dont la lecture est pleine de charme et d’entraînement. Je citerai particulièrement Vaillance, Richard, Karl-Henry et Mademoiselle de Kérouave. Vaillance est un véritable modèle de narration. Les trois frères Legoff sont peints de main de maître. Le caractère de Jeanne rappelle sans le reproduire le gracieux personnage de Diana Vernon. Il y a, dans cette nouvelle, une vérité de pinceau, une franchise de coloris, qui se rencontrent bien rarement dans les récits que nous voyons se multiplier chaque jour. Après avoir tourné le dernier feuillet, il est impossible de ne pas garder dans sa mémoire l’image vivante du Koat d’Or. Richard est un récit dont l’intérêt ne saurait être contesté. Karl-Henry nous offre le développement d’un caractère dessiné certainement d’après nature. Ce jeune musicien, réservé peut-être aux plus hautes destinées, dont le nom semblait promis à la gloire, et qui, pour soutenir sa famille, va s’ensevelir vivant au fond de la province, dans une étude d’avoué, excite dans l’ame du lecteur un attendrissement involontaire. Il y a dans cette immolation de chaque jour quelque chose de poignant, et M. Sandeau a su traiter cette donnée avec tant de vérité, que l’invention semble à peine jouer un rôle dans son récit. Pour moi, je pense qu’il a dû assister aux misères qu’il nous raconte. L’imagination la plus heureuse ne saurait deviner toutes les tracasseries, toutes les piqûres d’épingle dont se compose la vie de Karl-Henry. Quelle que soit la vérité de nos conjectures, inventé ou transcrit, le tableau de cette abnégation obscure a résignée a droit aux plus grands éloges. Ce n’est pas, en effet, un médiocre triomphe que de donner à sa pensée un accent de réalité où l’art semble n’avoir aucune part. Quant à Mademoiselle de Kérouare, je regrette sincèrement que l’auteur n’ait pas développé dans de plus larges proportions la donnée qu’il avait choisie. Tous les incidens sont à leur place, les caractères sont dessinés avec netteté, mais le récit manque d’air a proprement parler, c’est plutôt un programme de récit qu’un récit achevé. La manière dont M. Sandeau a su traiter le sujet de Vaillance légitime pleinement nos regrets à l’égard de Mademoiselle de Kérouare.

Si maintenant nous essayons d’embrasser par la pensée l’ensemble des œuvres que nous venons d’analyser, si nous nous demandons quel est le caractère général de tous ces récits, quelle est l’idée constante qui les domine, la réponse ne sera pas difficile ; un seul mot suffit, en effet, à caractériser tous les romans de M. Sandeau : ce qui domine dans tous ses livres, c’est le sentiment profond de la famille. Depuis Marianna