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et je veux que chacun soit responsable de ses œuvres. Il y a pourtant des zones moins fertiles, des sociétés moins heureuses où, sans rien exagérer, sans fausse déclamation, on peut citer l’esprit d’un peuple au tribunal de la critique, et lui demander compte de l’influence qu’il exerce.

Je me sens autorisé surtout à parler ainsi, quand je compare l’état du théâtre en Autriche avec les tentatives généreuses qui se produisent dans tout le reste de l’Allemagne. La poésie dramatique était tombée bien bas depuis Goethe et Schiller : 1830 a réveillé les esprits, et les écrivains les plus distingués de la jeune Allemagne ont porté de ce côté tout l’effort de leur talent. Déjà, à Düsseldorf, Immermann et Grabbe avaient frayé la voie par d’énergiques essais ; la génération qui les a suivis n’a manqué ni de courage ni de persévérance, et malgré les empêchemens de toute sorte, malgré la censure, malgré l’indifférence publique, ils ont arraché plus d’une fois de légitimes applaudissemens. M. Frédéric Uechtriz a fait jouer à Berlin, avec le plus grand succès, un drame plein d’une forte et éclatante poésie, Alexandre et Darius ; le Manfred de M. Marbach a réussi à Leipzig ; M. Firmenich a donné, sur le théâtre illustré par Immermann, un drame animé, Clotilde Montalvi ; Stuttgart a accueilli avec faveur le Fils du Doge de M. Reinhold, et M. Henri Laube a retrouvé, pour écrire son Monaldeschi, toute la brillante facilité, toute la verve rapide de ses meilleurs jours. N’oublions pas quelques bonnes études de M. Sigismond Wiese, de M. E. Geibel, de M. Henri Koenig. Une place particulière est réservée à Cola Rienzi, à Othon III, à la Fiancée de Florence, de M. Julius Mosen. M. Gutzkow surtout mérite d’être cité ; il occupe le premier rang dans cette active phalange. Nul n’a été plus ardent à défier les difficultés ; ses drames, ses comédies, Patkoul, la Queue et l’Epée, le Modèle de Tartufe, se suivent sans relâche ; ce sont autant de succès, et cette verve opiniâtre qui est le caractère principal de l’auteur doit parvenir un jour à fonder un théâtre sérieux. On le voit, ce qui éclate dans toutes ces tentatives, c’est l’audace, c’est l’altière indépendance des jeunes écrivains. Mille obstacles les arrêtent : le pouvoir est souvent hostile, le public est insouciant ; ils marchent néanmoins. Partout enfin, à Düsseldorf, à Berlin, à Leipzig, à Stuttgart, c’est une lutte obstinée des poètes contre le public ; généreux efforts, combats glorieux, et où il y a tout à gagner, car n’est-ce pas déjà un véritable honneur, quelle que soit l’issue de la bataille, d’avoir tenu si intrépidement la campagne pour la cause sacrée de la poésie ? Regardez maintenant en Autriche : quel douloureux contraste ! Dans l’Allemagne du nord, c’est l’écrivain qui engage le combat ; ici, il ne se défend même pas, et se laisse désarmer sans résistance.

Imaginez un talent vraiment distingué, une ame délicate et tournée vers l’idéal ; ce sera un poète amoureux de la grace ; il aura de naturelles