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Les premières œuvres de M. Halm sont certainement les meilleures. J’y trouve, dès le début, les qualités, les inclinations naturelles du jeune écrivain. N’est-ce pas ainsi, aux premiers jours, qu’il est possible de deviner les tendances d’une ame, les propensions d’un esprit bien doué ? Une chose me frappe ici. M. HaIm semblait préoccupé de mettre en lumière une idée, une pensée forte qui pût soutenir son drame. Que cette idée fût toujours conduite avec habileté, qu’elle fût un aliment assez vigoureux pour nourrir son œuvre, je ne l’affirmerai pas. C’était là toutefois un heureux signe, une disposition féconde, et il était permis d’espérer que le jeune écrivain, plus maître de sa pensée, mieux familiarisé avec la scène, donnerait quelque jour un vrai poète dramatique. Nous verrons tout à l’heure ce que les influences mauvaises ont produit et comment cette imagination aimable a été détournée de ses voies.

Le vrai succès de M. Frédéric Halm, celui qui a établi tout d’abord et qui maintient encore sa réputation, c’est son drame de Griseldis. Le jeune poète avait choisi un sujet gracieux, parfaitement approprié à la nature élégante de son talent. Il sut d’ailleurs y porter des richesses nouvelles, il sut féconder la tradition qu’il interrogeait, et, même après Boccace, y ajouter en de certaines parties une valeur inattendue. Tout le monde connaît l’admirable légende de Griseldis. Quoi de plus pur et de plus touchant dans les récits du moyen-âge ! Quel document plus douloureux que celui-là sur la condition de la femme en ces âges barbares ! Griseldis, c’est le dévouement héroïque et simple, c’est la résignation sublime, ignorant elle-même le prix de sa vertu. Comme elle est prompte à s’humilier ! comme elle souffre sans murmure ! Les plus cruelles douleurs, les affronts les plus sanglans, elle supporte tout avec une douceur qui n’est pas de la terre. D’où vient-elle, si courageuse et si grande ? Est-il vrai qu’elle ait passé dans ce monde ? a-t-elle vécu à Bologne, a-t-elle été mariée au marquis de Saluces ? et ces épreuves odieuses, et cette angélique patience, tout cela est-il réel ? Ce type suprême de bonté et de grace a-t-il en effet existé sous une forme si charmante ? ou bien n’est-ce qu’un rêve, une création idéale, une figure impossible, imaginée par la pensée populaire, et consacrée pieusement dans ces naïves histoires où Boccace est allé la prendre ?

On voit quel intérêt éveille le nom seul de l’héroïne ; disons d’abord tout ce qu’il y a de louable dans l’œuvre du jeune poète. M. Halm a aimé Griseldis, et comme un être réel dont il fallait honorer la mémoire, et comme l’idéal adoré d’une bonté supérieure. Il n’a pas pensé que la légende toute seule pût suffire. Ce type autrefois si vénéré pouvait bien ne pas convenir à nos idées présentes. L’auteur n’a pas voulu nous donner simplement un tableau du moyen-âge, une étude curieuse sur les mœurs féodales, sur la brutalité du maure et la résignation la servante. Il faut que cette femme, jadis si humiliée, se relève aujourd’hui ;