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çà et là une grande dame qui tiendrait volontiers sa place dans un roman d’hier. J’ose affirmer que ces graces douteuses, et surtout la mollesse efféminée des couleurs, sont précisément ce qui a valu à M. Halm les applaudissemens du public autrichien. Si une généreuse idée éclate aux dernières scènes du drame, ce n’est nullement par là que le poète a enlevé les cœurs. Voilà le reproche qu’il fallait formuler nettement, voilà aussi le danger qu’il était urgent de signaler à l’inexpérience du jeune écrivain. On comprendra tout à l’heure quel service lui eût été rendu.

Nous allons trouver encore une idée conçue avec habileté, mais très faiblement mise en œuvre, dans le drame que M. Halm fit représenter un an après Griseldis. L’Alchimiste a paru en 1836. La pensée du poème ne manque pas d’élévation ni de vigueur. Suivons l’auteur au fond du moyen-âge, au milieu des éblouissemens de ces siècles ardens et naïfs. Nous sommes sur le Rhin, à Cologne. Entrez dans cette rue noire, montez dans cette maison obscure et silencieuse.Voici l’atelier de maître Werner Holm, un des ancêtres du docteur Faust, un cousin d’Arnaud de Villeneuve, de Raymond Lulle et de Paracelse.Werner Holm est livré à la pratique des sciences occultes. Véritable fils de ces siècles émerveillés, son imagination est éblouie par les promesses de la science, par la fièvre de l’inconnu. Il travaille nuit et jour ; sa pensée fermente et brûle, comme ces fourneaux incandescens où il mêle à toute heure les matières prescrites. Vous savez ce qu’il cherche ; il ne tâche pas de pénétrer les secrets de la vie, les mystères du monde invisible ; son but est plus net, il veut faire de l’or. Déjà tout ce qu’il possède a disparu dans ses fourneaux dévorans ; il ne se décourage pas. Vainement sa femme tant aimée autrefois le supplie de renoncer à sa folle entreprise ; vainement elle lui montre la misère effrayante qui est déjà venue et ses pauvres enfans près de mourir de faim ; vainement aussi le fa.mulus désespéré veut abandonner son maître et lui redemande tant d’heures perdues, tant d’argent et d’or jeté dans le gouffre insatiable : Werner Holm s’acharne à la poursuite de la chimère. Périssent plutôt sa femme et ses enfans ! périsse le lâche famulus ! Lui-même, s’il le faut, il mourra à la peine ; mais non, à force de science et de courage, le miracle se fait, la matière en courroux cède au génie obstiné de l’inventeur : Werner Holm a trouvé le secret de Dieu, il fait de l’or ! Ainsi commence le drame. Voilà donc l’alchimiste devenu maître du monde. Que sont auprès de Werner Holm les plus riches et les plus puissans ? C’est lui qui est le seul riche, le seul puissant, le seul maître. Attendez cependant : cette richesse formidable, acquise au prix d’un tel labeur, comme elle est lourde à porter ! quel écrasant fardeau ! Est-ce bien encore un homme, celui à qui tout obstacle est inconnu, tout désir interdit ? N’est-il pas sorti de la condition humaine ? Ah ! quel immense ennui pèse déjà sur sa tête !

Voilà l’idée qui a inspiré le poème de M. Halm, voilà la conception