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est un sonnet dans lequel M. Schlegel, parlant d’avance le langage de la postérité, se rend à lui-même un magnifique hommage. Il n’y a d’ailleurs rien que de vrai dans cet éloge ; tout le monde serait prêt à y souscrire si l’on pouvait oublier quel en est l’auteur.

Les relations de M. Schlegel avec Schiller et Goethe viennent d’être éclairées d’un nouveau jour par une publication due également à M. Boecking, dont on ne peut méconnaître le zèle désintéressé. Schiller, directeur de l’Almanach des Muses et des Heures, fait à M. Schlegel, bien jeune encore, de flatteuses avances pour s’assurer son concours. Ses lettres, qui se bornent d’abord à traiter de leurs affaires communes, deviennent bientôt plus intimes ; puis cette amitié se trouve brusquement rompue. Schiller avait en des démêlés désagréables avec Frédéric Schlegel ; il craignit de l’avoir toujours en tiers entre lui et Guillaume. Il signifia à ce dernier, en termes un peu durs, la détermination de rompre tous rapports. M. Schlegel se justifia ; il exposa comment, à ses yeux, chaque amitié avait ses droits distincts qui ne devaient être sacrifiés à aucune autre. La correspondance recommença ; mais la confiance, une fois atteinte, ne renaît guère. Les lettres de Schiller témoignent dès-lors d’une grande réserve. De là, sans doute aussi, datent la sévérité et les injustices de M. Schlegel. Les lettres de Goethe, moins familières, sont écrites sur un ton plus égal. Les relations avec M. Schlegel sont souvent interrompues, mais des deux parts on saisit avec plaisir l’occasion de les renouer. Un billet de Goethe nous apprend que ce fut lui qui servit d’intermédiaire entre Mme de Staël et M. Schlegel. Il n’est pas sans intérêt de voir naître une telle liaison. « Mme de Staël, écrit Goethe, désire vous voir de plus près ; elle pense que quelques lignes de moi pourront rendre le premier abord plus facile. Je les écris avec plaisir, bien sûr d’obtenir des remerciemens des deux côtés pour une chose qui eût pu se faire d’elle-même. Ailleurs, Goethe se montre dans ses fonctions de directeur du théâtre de Weimar ; il paraît prendre à cœur la représentation de la tragédie d’Ion, celle de la traduction de Jules César. Souvent aussi il s’occupe de ses propres affaires. A plusieurs reprises, il envoie ses poésies à M. Schlegel pour lui demander des avis, et, qui plus est, des corrections. Nous n’insisterons pas sur la portée que prend ce dernier mot sous la plume de Goethe. En général, on retrouve dans cette correspondance l’éminent critique tel qu’on aime à se le figurer, prenant part tour à tour comme acteur et comme juge au mouvement littéraire de son temps. Si la publication des Œuvres françaises de M. Schlegel avait pu porter quelque atteinte à cette grande renommée, de pareils témoignages suffiraient amplement pour la réparer.


— MES VACANCES EN ESPAGNE, par M. E. Quinet. — Les vacances finies, tandis que M. Quinet, pour tromper l’ennui d’une traversée monotone, achevait de rassembler ses notes, de transcrire ses tablettes et de rédiger ses impressions, un dernier fantôme se dressa devant lui. A travers la brume des côtes de Provence, il vit avec horreur la silhouette fantastique d’un article consciencieux qui l’attendait accroupi sur la grève, « semblable à l’ange exterminateur aux portes de l’Éden, » prêt à le saisir à la douane et à l’exécuter sans miséricorde dans un journal grave. À cette vision effroyable, l’auteur d’Ahasvérus se sentit troublé, lui si familier avec le monde surnaturel, et qui, pendant deux mois de