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séjour sur la terre classique des revenans, avait évoqué les esprits soir et matin, à chaque carrefour et derrière chaque pan de muraille écroulée. Pour un homme qui s’est trouvé face à face, au clair de la lune, avec le commandeur de pierre, qui a passé une semaine entière en tête à tête avec les spectres de l’Escurial, c’était, il faut en convenir, un bien mince sujet d’effroi qu’une semblable apparition. M. Quinet, néanmoins, jugea nécessaire de la conjurer et de la prévenir. Par un tour des plus malicieux, il s’est avisé de faire lui-même d’avance, en manière d’épilogue, la critique de son livre. Nous laissons à penser le ton de ce morceau, les choses réjouissantes dont il est semé, et les énormités mises dans la bouche du journal grave pour fournir au bon sens révolté du public impartial le soin d’en faire justice. M. Quinet s’exerce, non sans quelque succès, à manier le sarcasme ; il prend un accent ironique, et, dans cette défense préventive, il déploie toutes les ressources d’une adresse… jésuitique. Évidemment, la lutte contre les fils de Loyola l’a façonné aux ruses de guerre ; mais ces sortes de jeux ne sont pas toujours sans danger. Bien souvent, en pareille occasion, la caricature diffère peu du portrait, et, en cherchant la parodie, on rencontre la vérité. C’est ce qui est un peu arrivé à M. Quinet. Entre autres remarques qui ne manquent pas de justesse, il définit son livre une fantaisie fébrile. Comme nous trouverions difficilement une expression plus exactement applicable à cette œuvre incohérente, nous demanderons à l’auteur la permission de la prendre au sérieux. Le mot résume parfaitement, selon nous, l’impression que laissent ses Vacances en Espagne.

M. Quinet, nous le savons, n’a pas continué de se renfermer dans les termes de son programme. C’est chez lui un péché d’habitude, et il n’a pas encore cette fois songé à se corriger. Ne lui en faisons pas une trop grosse querelle ; il est bon quelquefois de faire la part des circonstances. Pourquoi réclamer plus d’exactitude du professeur en vacances que du professeur dans l’exercice de ses fonctions ? Nous nous contentons de signaler le fait et de prévenir les lecteurs trop exigeans qui, sur la foi du titre et de la table des matières, s’aviseraient de demander à l’auteur la description des lieux qu’il a traversés. Ne vous y laissez pas tromper. Tel chapitre est daté de Burgos, tel autre de Cordoue ; celui-ci a été écrit dans une cellule de l’Escurial, celui-là sur les terrasses de l’Alhambra. Erreur : M. Quinet les avait apportés tout faits dans sa valise ; vous avez même pu, sur les banquettes du Collège de France, en entendre de notables fragmens et des tirades élaborées, soyez-en sûr, ailleurs que dans la posada d’Illescas. Dans les récits de voyage, la réalité est pourtant une condition nécessaire et indispensable. Les pages les plus éloquentes, les plus brillans tableaux composés d’avance ou après coup ne remplacent jamais l’esquisse rapide crayonnée sur le revers du chemin, et les mille incidens de la route contés simplement et sans commentaires ambitieux. L’auteur excite un intérêt d’autant plus vif, qu’il ne cherche pas à le commander. Il n’affiche pas la prétention de nous imposer ses impressions personnelles et nous conduit tout bonnement par les rues de Tolède et de Madrid, au lieu de nous laisser perdu dans le labyrinthe inextricable de son imagination. M. Quinet s’est jeté dans une voie contraire, et mal lui en a pris en vérité, car, s’il est dans son livre quelques passages où le lecteur se sente allégé de l’insurmontable ennui que fait peser sur lui la rhétorique nébuleuse du professeur, c’est précisément lorsque celui-ci daigne raconter