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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/218

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rabattit ses coiffes sur son pâle visage, et, s’appuyant au bras de sa femme de chambre, elle adressa quelques mots de remerciement à la marchande, avec une politesse mêlée de dignité qui sentait fort sa grande dame. Au moment de sortir, elle fit signe au vieux domestique de prendre à l’étalage un joujou de deux sous, et, tirant sa bourse, elle mit un louis sur le comptoir.

La marchande la reconduisit jusqu’à la porte avec de grandes révérences, et, retenant un instant la petite fille d’un geste discret, elle lui baisa la main et lui dit avec un intérêt respectueux : — Comment vous appelle-t-on, mademoiselle ?

— Félise, répondit l’enfant.

— C’est un beau nom ! s’écria la bonne femme. Félise ! cela veut dire heureuse, celle qui est née sous une heureuse étoile, n’est-ce pas ?

En entendant ces paroles, la voyageuse et sa suivante se retournèrent avec un mouvement involontaire, et, frappées sans doute de la même pensée, elles abaissèrent sur l’enfant un étrange regard.

— Votre nom n’a pas menti aujourd’hui, mademoiselle Félise, reprit la marchande ; que Dieu vous protège ainsi tous les jours de votre vie !...

L’étrangère ordonna d’un geste impatient à son vieux serviteur de faire monter la petite fille dans la voiture, et se hâta de reprendre elle-même sa place. — Allez, postillon, cria la suivante en fermant le rideau de la portière au nez des curieux attroupés devant la boutique.

Le carrosse roula encore quelques momens dans la rue Saint-Antoine, puis, tournant au coin de la place de Birague, il alla s’arrêter devant le couvent des Annonciades, situé au fond de la rue Culture-Sainte-Catherine, à cent pas de l’hôtel habité naguère par Mme de Sévigné.

Le vieux serviteur, faisant fonctions d’écuyer, présenta respectueusement l’avant-bras à sa maîtresse, et tandis qu’elle descendait, une main légèrement appuyée sur sa manche, il lui dit avec une expression de zèle embarrassé et inquiet : — Si mademoiselle voulait me donner ses ordres, je pourrais m’occuper sur-le-champ de lui chercher un logis. J’avoue que, ne connaissant point la ville, je me trouve un peu en peine.

— La première maison venue me conviendra, pourvu que j’y sois seule, tout-à-fait seule, répondit la voyageuse.

— Je vois d’ici plusieurs écriteaux, reprit le bonhomme en parcourant du regard les maisons de belle apparence qui faisaient face au couvent des Annonciades ; si mademoiselle le trouve convenable, je vais voir... à moins qu’elle ne préfère un autre quartier...

— Mon Dieu ! qu’est-ce que cela me fait ? murmura la voyageuse d’un air de morne insouciance ; que je demeure dans cette rue même, plus loin ou à l’autre bout de Paris, peu m’importe !