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Page:Revue des Deux Mondes - 1846 - tome 16.djvu/219

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— Il faut aviser tout de suite, reprit Balin en se retournant de tous les côtés, comme un homme décidé à marcher au hasard. Puisque mademoiselle ne veut pas descendre, même pour une seule nuit, dans un hôtel garni, il faudra aussi que je voie sur l’heure un tapissier, que je me procure des meubles... Mademoiselle va manquer de tout aujourd’hui, et qui sait comment elle sera couchée ce soir !

— Qu’est-ce que cela me fait ! répéta la voyageuse avec une sorte d’accablement mêlé d’impatience ; allez, Balin, et faites comme il vous plaira : vous avez une heure.

— A la grâce de Dieu ! Je ne vais pas plus loin, murmura le bonhomme en soupirant et en se dirigeant vers une maison du voisinage, à la porte de laquelle on lisait sur une planchette : Grand hôtel entre cour et jardin à louer présentement.

La porte du couvent s’ouvrit au premier coup de sonnette et se referma aussitôt sans bruit derrière les nouvelles venues, qui se trouvèrent alors dans un vestibule spacieux, humide et sombre. Des bancs de chêne scellés au mur régnaient alentour ; au fond, l’on apercevait les premières marches d’un large escalier tournant. Personne ne se présentait, et l’étrangère dut s’arrêter un moment pour s’orienter dans ces lieux inconnus. Tandis qu’elle promenait autour d’elle un regard fatigué, la petite fille se retourna brusquement vers la porte en s’écriant : — Je ne veux pas monter dans cette maison, elle est trop laide ; allons-nous-en.

— Non pas certes, répliqua la suivante en essayant de la rattraper ; venez ici, mademoiselle.

— Je veux retourner dans la rue, s’écria l’enfant d’un air irrité et en se débattant, je veux m’en aller !... Je ne veux pas vous obéir, méchante !...

— Laisse-la, Suzanne, laisse-la ; je ne peux pas l’entendre crier ainsi, dit l’étrangère en frissonnant et en se précipitant vers l’escalier, qu’elle se hâta de gravir.

— Mademoiselle Félise, criez toute seule tant qu’il vous plaira, dit aigrement Suzanne ; restez, restez là, on ne viendra pas vous chercher. Vous ne méritez pas d’entrer dans la maison du bon Dieu !

L’escalier en spirale dont les premières marches tournaient au fond du vestibule aboutissait à un palier sur lequel s’ouvrait une porte à deux battans ornée de délicates sculptures et surmontée d’un écusson qu’il n’était pas possible de blasonner à travers la couche de badigeon qui couvrait les armoiries. Au-dessus de cette pièce héraldique ainsi effacée, l’on avait peint à la fresque une croix d’azur entre deux branches de lis.

Au moment où l’étrangère posait la main sur le pommeau de cuivre ciselé en forme de rose épanouie, le battant tourna de lui-même sur ses